Play a song for me

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Mr Tambourine Man, jeune ado, se crée un monde virtuel pour échapper à la réalité morose de sa petite ville du sud du Brésil où l’avenir semble condamné.

Play a song for me est le premier long-métrage d’un jeune réalisateur de 26 ans, originaire de São Paulo au Brésil, où il a déjà réalisé de nombreux courts-métrages, Impar Par, Alguma Coisa Assim et Saliva, souvent distingués dans les plus grands festivals. Tapa na Pantera a pour sa part été diffusé sur YouTube. Play a song for me est inspiré d’un manuscrit non encore publié, Os Famosos E Os Duendes Da Morte d’Ismael Canappele, auteur – à qui le réalisateur a d’ailleurs confié un rôle – originaire de Lajeado, petite ville germanophone du Rio Grande où le film a été tourné. Play a song for me met en scène un jeune de 16 ans, Mr Tambourine Man, qui vit avec sa mère dans une campagne retirée. C’est autour de la perception d’une adolescence en crise, pleine de désillusions, celle d’un jeune plongé dans le monde virtuel et les fantasmes qui en découlent, que le film se construit. Mais Esmir Filho aborde des sujets plus graves : l’incapacité à s’imaginer un avenir où l’on est/naît, la solitude et, surtout, la perception d’une mort omniprésence dans la ville et la vie des gens du coin.

Tambourine Man est scolarisé mais préfère passer son temps libre avec Diego, son meilleur ami, à qui il confie ses inquiétudes et ses constatations amères sur la vie et sa mère lors de divagations nocturnes. Préférant internet au foot et aux fêtes de village, il suit de près les photos et vidéos postées par Jingle Jangle, une ravissante et mélancolique fille, qui le fait plonger dans un monde où l’on ne discerne plus très bien la part de réalité et de virtualité. Julian, un étrange et ténébreux personnage, revient hanter la ville par de brèves apparitions. Entre sa maison isolée et vide et le pont rouge où les suicides s’enchaînent, Tambourine Man cherche un moyen d’échapper à ce quotidien dont il se sent la victime, un quotidien morose qui fait de lui un condamné.

Le choix des acteurs a été simple. Sélectionnés sur internet, via leur blog, histoire de s’imprégner au mieux de leur univers, certains sont ainsi originaires de la petite ville et tous sont non professionnels. Aurera Baptista – exceptionnelle dans le rôle de la mère – constitue la seule exception puisqu’elle est une actrice de théâtre de la région. Tambourine Man possède ce visage de l’entre-deux ingrat, de l’adolescence inachevée. C’est un être prisonnier, renfermé et amer : sa propre sexualité le dégoûte, il n’a pas le temps de s’arrêter chez ses grands-parents. Il se cherche des muses : Jingle Jangle, Bob Dylan qu’il écoute au walkman. Il est en opposition avec tout ce qui l’entoure, cette terre qu’il foule, ces gens absents, ces fêtes pour lui injustifiées… Jingle Jangle, par sa présence virtuelle, intouchable et évaporée, crée la poésie du film, et une aire d’évasion. Elle apparaît angélique et romantique dans des vidéos champêtres – tirées de la vie réelle de l’actrice – où la sensualité bucolique est de mise.

"Qui pourra me chanter une chanson et m’emmener loin d’ici ? Qui pourra me faire oublier le présent au moins jusqu’à demain ?" Bob Dylan

Cette petite ville germanophone aux confins d’un pays tropical marque le choix de filmer un isolement total. Habitué à la grande ville de São Paulo, le réalisateur a dû se confronter à une autre temporalité, celle des villes où rien ne se passe sinon un suicide ou une fête. Quoi de mieux pour mettre en exergue la solitude de l’adolescence qui fut justement la sienne, et faire planer cette obsession de la mort dans la culture de cette région froide du sud du Brésil ? Mort et vie se confondent et se superposent : "la proximité n’est pas quelque chose de physique" écrit Tambourine Man. Internet abolit les frontières : temps, lieu, distance entre les êtres et les choses, vie, mort, tout semble se réunir dans un unique espace virtuel. Puis, dans la réalité, ce pont bien ancré, objet de toutes les craintes, est aussi un passage vers un ailleurs inconnu qu’on espère meilleur.

Ce qui frappe d’emblée dans Play a song for me est sans aucun doute la mise en scène, le parti pris esthétique du réalisateur qui se démarque singulièrement. Il dit avoir fait un "film-émotion" dans le sens où – il est vrai – les sentiments ressentis par Tambourine Man, son intériorité, sont au centre du film. Ses fantasmes déteignent sur sa vie de tous les jours, et ses peurs font l’objet de scènes à la limite du film d’horreur par l’intensité émotionnelle rendue. Bande-son et musique viennent accompagner le film, porté par ce jeune dont le nom fait référence à la chanson de Bob Dylan, Mr Tambourine Man. Le travail sur la lumière est également important avec, au summum, une coupure d’électricité plongeant la ville dans l’obscurité montrant ainsi le plongeon dans l’intériorité profonde de la ville.

Un film singulier, qui interroge, qui déroute beaucoup, plaçant souvent le spectateur dans cet entre-deux virtuel et réel où il se perd avec les personnages. Un trouble en naît, inévitable. Assiste-t-on à des scènes déjà vécues ? Quelle limite entre réel et virtuel ? Peu importe… Tambourine Man crée son propre monde, un univers bien à lui, où le spectateur est emporté, dans un manège sensoriel, brumeux et musical, dans un destin en marche…

Titre original : Os Famosos e os Duendes da Morte

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Durée : 101 mn


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