Pascal Elbé : la révolte sereine

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Comédien et scénariste, il passe à la réalisation avec « Tête de Turc ». Sincère et honnête, son film lui ressemble. Rencontre.

Pascal Elbé serait-il un homme en colère ? Pas loin. Venu défendre Tête de Turc, son premier film en tant que réalisateur, il a la veste en cuir et la barbe de trois jours du rebelle tranquille. Acteur remarqué dans des comédies plus ou moins réussies, il fait avec son film une entrée assez convaincante dans le polar. Le scénario serait inspiré d’un fait-divers qui avait marqué les esprits : en 2006, une Marseillaise, Mama Galledou avait été brûlée vive à bord d’un bus par une bande de jeunes "qui n’avaient pas la moindre conscience des conséquences de leurs actes", dixit le dossier de presse. Pascal Elbé tranche net : "Arrêtez avec ça ! Ce fait-divers m’a choqué, mais le film n’est pas forcément basé dessus. Le meurtre d’Ilan Halimi m’a tout autant choqué. Ce sont surtout les procès qui m’ont interpellé, parce qu’on se demandait vraiment si ces gamins avaient une réelle conscience de leurs actes". Pas un fait-divers donc, ni même deux. Plutôt une suite d’événements grâce auxquels Elbé a senti qu’il pouvait  "prendre le pouls d’une société malade".

La chasse aux clichés

Sa démarche implique un long travail de préparation et de documentation, Elbé désirant
à la fois éviter les clichés et conserver un regard juste sur la vie dans les cités "sensibles". "J’ai rencontré beaucoup de gens sur le terrain. Educateurs, travailleurs sociaux, grands-frères…". Il passe des heures à "lire les blogs entre les pompiers et les urgentistes où ils racontent qu’ils ne peuvent plus intervenir dans certains quartiers sans escorte policière". Jusqu’à demander au patron de la Brigade Criminelle de relire son scénario pour en détecter les erreurs. "Je les ai tous fait chier. Je ne voulais surtout pas être pris en défaut sur ce que je raconte". Exit donc les stéréotypes du film de banlieue, typiques d’une bonne partie de la production française. "Il n’y a plus rien dans ces cités-là. Hormis du silence, beaucoup de silence. C’est pour ça que je n’ai pas mis de musique rap, par exemple".
Bruno Coulais signe à la place une composition originale discrète.

"Comprendre sans victimiser ni punir"

Rebelle aux clichés, donc, il préfère poser un regard sincère sur la situation dans les ghettos français, et refuse la position de juge. "Ce que je raconte a probablement et malheureusement déjà été vu, vécu et entendu. J’essaie de comprendre sans chercher à victimiser ni punir". Avec une scène pour exception. Un dialogue entre un flic (Roschdy Zem) et un médecin (Elbé lui-même) qui ont la particularité d’être frères. Enfermés dans une voiture, les personnages échangent leur point de vue sur les solutions à apporter face à la délinquance. L’un opte pour la répression, l’autre pour l’excuse. Un clivage qui rappelle les dissensions politiques sur le sujet, mais laisse surtout éclater le gouffre qui sépare ces deux personnages.

"Un vrai film de cinéma"

"J’avais besoin d’ancrer le film dans le quotidien, mais mon envie était d’abord de faire un vrai film de cinéma", précise Pascal Elbé, qui a déjà montré par le passé ses talents de scénariste avec Mauvaise Foi (Roschdy Zem) et Trois amis (Michel Boujenah). Les faits divers l’ont attiré pour les "dommages collatéraux" qu’ils impliquent, leurs répercussions familiales ou amicales. L’occasion parfaite pour s’inspirer des films qu’il aime, ceux qui entrecroisent les destins de plusieurs personnages. Il ne tarit pas d’éloges sur lesoeuvres chorales d’Alejandro Gonzales Iñarritù, de Robert Altman et de Paul Haggis, ou les films noirs de James Gray. "Quand Gray fait un film sur la communauté russe, il n’a pas besoin d’être dans la démonstration. C’est une dimension qui me manque en général dans le cinéma français. J’ai pensé que si je m’attachais à des Arméniens et des Turcs, cela me permettrait de les opposer. Mais dans le film, il n’y a qu’une phrase qui vient évoquer le sujet , lorsque le père, au chevet de son fils à l’hôpital dit : ‘Pour une fois qu’un Turc aide un Arménien. Et ça s’arrête là, il n’y avait pas besoin d’en faire plus".

La banlieue, concept de producteur

En colère contre le cinéma français, Pascal Elbé ? Plutôt. Ce qui ne l’empêche pas de rester optimiste."Une brèche s’est ouverte avec des films comme Un Prophète, qui a trouvé un large public. Ça montre que l’essentiel vient de l’histoire, pas du casting. Le cinéma français va peut-être enfin devenir moins consensuel". Mais la frilosité des producteurs est tenace. Lui qui reste considéré comme un acteur comique a eu bien du mal à monter son projet. "Il faut savoir que pour un producteur, la banlieue ce n’est pas une réalité, c’est un concept. Il n’y en a pas beaucoup qui ont compris le scénario".  Résultat : il part après avoir "mendié" deux millions d’euros, et sans distributeur, tourner Tête de Turc dans un hangar désaffecté près de Suresnes. Il réussit à impliquer les élus locaux et la population de la Cité. Tourne dans l’urgence pendant six semaines, à deux caméras et monte durant le week-end. Tête de Turc lui apprend autant sur son nouveau travail, la réalisation, que sur lui-même. "Je ne pensais pas avoir autant d’énergie en moi. C’était totalement épuisant, mais j’étais tellement heureux de pouvoir travailler de cette manière que j’aurais pu continuer encore quelques semaines".

"Tête de Turc", film "prématuré"

Avec lui, il embarque une solide équipe d’acteurs – Zem mais aussi Ronit Elkabetz et Simon Abkarian – qui gravitent autour du jeune Samir Makhlouf. "Jeune, j’aurais pu être comme lui, bien que je sois issu d’une classe plus privilégiée. C’est un gamin simple, il a un rapport normal aux choses mais aussi une sorte de colère rentrée". Cette même colère a permis au film de se faire. Calé dans un fauteuil de l’Opéra de Toulouse, en pleine tournée provinciale avant d’enchaîner les promos nationales, Pascal Elbé apparaît aujourd’hui plus serein. Mais il ne cache pas que sa révolte contre le système de production français a été le moteur de son film. "Tête de Turc est un film prématuré, il n’aurait pas du exister", rappelle-t-il. "Si mes influences cinématographiques ne sont pas françaises, c’est peut-être aussi parce que les gens qui décident, ce sont cinq ou six types assis dans un salon. Mais quelles que soient les conditions, je referais des films. Maintenant, je peux dire que je l’ai déjà fait une fois sans eux, alors je les emmerde !". Manière aussi de balayer l’accueil que le film pourrait recevoir : "J’ai commencé le film sans distributeurs et je me retrouve maintenant avec le logo de la Warner. Je suis déjà dans le bonus. Et je le dis sans prétention, ce film j’en suis fier. Il aura la carrière qu’il aura, peu importe ça ne m’empêchera pas de recommencer".

La suite ne sera pas forcément un polar, mais il y a peu de chances que ce soit une comédie. Bien qu’il espère pouvoir en écrire une un jour, il préfère s’abstenir pour l’instant. "Parce que je sais à quel point c’est dur. La comédie exige beaucoup.".


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