Panorama des cinémas du Maghreb – Un programme court éclectique

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Le programme court de cette 4e édition du Panorama des cinémas du Maghreb a dépassé l´habituelle opposition binaire – fiction et documentaire – pour aller s´enrichir de l´art vidéo.

C’était là un pari tout à fait audacieux que d’ouvrir le bal des projections de ce Panorama 2009 par la vidéo Coulée douce du plasticien tunisien Ismaïl Bahri, montrant la chute d’une goutte le long d’un fil. Dubitatif et dérouté, le public s’est rapidement interrogé sur la légitimité des vidéos d’art dans le programme court. Mais Sami Lorentz, son programmateur s’en défend : « il s’agit avant tout de se diriger vers des films qui représentent un espace d’indépendance et de liberté créatrice, en écartant donc les préoccupations identitaires, pour mieux se centrer sur des questions de cinéma, incarnant des thèmes universels qui dépassent les seules frontières de ces pays-là. L’idée est de mettre en lumière des films qui, au-delà des genres et des formes plastiques, constituent une passerelle dépassant les cadres, les normes trop rapidement attribuées et qui ont peu de sens. »

Un vent frais a donc soufflé sur ce programme court. Sami Lorentz, cinéaste et scénariste lui-même, est parvenu à décloisonner, à déborder un cinéma un peu trop conforme aux attentes du spectateur, – une histoire, des personnages, un début et une fin – pour créer un espace de pure sensation. Il ajoute : « qu’est-ce qui peut déterminer véritablement un film dit "classique" d’un film d’art vidéo lorsqu’ils sont traversés tous les deux par une relation respectueuse avec le spectateur, où il s’agit davantage de créer un cinéma d’état, de vibrations, de sensations ? L’idée est de présenter ces films à un public curieux et de les soutenir, afin de dépasser les poncifs et clichés liés au folklore et autres images exotiques trop souvent montrées, pour tenter de revenir à de simples questions de cinéma ».  

   

De ce point de vue, le pluriel du mot « cinéma » prend toute son importance, car la production du Maghreb affiche une telle multiplicité de tons, de thèmes et d’expressions, qu’il est absolument nécessaire d’en rendre compte dans sa globalité. Et pour dénicher ces courts métrages, Sami Lorentz, a écumé les festivals à la recherche de films « venant autant de maisons de productions, que de nouvelles écoles de cinéma à peine créées (ESAV de Marrakech), de centres d’art (Le Fresnoy / Studio national des arts de Tourcoing), ou de films auto-produits ».

Dix films, dix sensations

En matière de fictions, le spectateur a donc pu découvrir Le projet du réalisateur tunisien Mohamed Ali Nahdi, qui s’est vu attribué le Prix coup de cœur du public 2009. Le film critique de manière intelligente l’expression étouffée dans l’œuf et la censure exercée dès la lecture d’un projet de cinéma par les autorités culturelles tunisiennes. C’est aussi par le prisme du médium cinéma que May Bouhada dans L’année de l’Algérie, questionne les préjugés à travers la pratique du casting. Qu’est-ce qu’être un jeune comédien maghrébin ? Cette question a-t-elle un sens ? À quoi doit ressembler un comédien maghrébin ?

Le bal des suspendus du réalisateur marocain Azzam El Mehdi annonçait tout de suite la dimension poétique du film. Dans les hauteurs arides de la campagne, ce magnifique court-métrage raconte plus en images qu’en dialogues, l’histoire d’un fils qui finit par refuser l’appel des sirènes de la ville. Le film, non sans rappeler l’esthétique des films d’Abbas Kiarostami, est impressionnant de maîtrise dans la composition des plans.

Dans une quête similaire d’ailleurs, le très troublant Anya (Straight Stories Part 2) de l’artiste Bouchra Khalili, raconte depuis les rives du Bosphore et en un seul panoramique, l’histoire en off d’une jeune irakienne réfugiée en Turquie et en transit vers l’Australie. Le mouvement centripète de la caméra renforce le sentiment d’inertie d’une famille tapie dans l’ombre pendant douze ans, avant d’obtenir le sésame pour l’Eldorado. Le détail, documentaire de Yakout El Hababi, témoigne également d’un certain marasme social. Le réalisateur marocain a pris le parti de capter sans esthétique particulière la réalité des petites gens. Un vendeur de cigarette ambulant devient le prétexte à filmer des personnages périphériques tel qu’un adolescent sniffeur de colle.

   

Mounir Fatmi, par une même économie de moyens, amorce une réflexion profonde sur la « mécanique » des religions dans The Machinery : un verset du Coran en noir et blanc se laisse lentement distinguer pour se fixer ensuite au centre de l’image. Dans un brouhaha en off évoquant les rouages d’une machine en action, le verset se met à tourner sur lui-même jusqu’à devenir une image quasi hypnotique. Mounir Fatmi semble dénoncer ici les dérives anesthésiques de la religion. Une deuxième vidéo, Les ciseaux, a été réalisée à partir des images censurées au Maroc du film "Une minute de soleil en moins" du réalisateur Nabil Ayouch. Le vidéaste y évoque par la figure des ciseaux, la fusion d’un couple faisant l’amour, la circoncision, mais aussi et surtout la censure. Les deux films, provocateurs et polysémiques, retiennent l’attention du spectateur, laissant libre cours aux interprétations.

Moins provocatrices, les vidéos d’Ismaïl Bahri opèrent des déplacements similaires. Dans Coulée douce, l’artiste filme la chute d’une goutte le long de fils de coton récupérés dans une usine de textile française délocalisée en Tunisie. Le bruit omniprésent des canalisations, donne une présence quasi fantomatique à une activité qui a récemment cessé. Coulée douce montre d’un évidemment physique renvoyant à l’abandon même de l’usine.

Il est aussi question de perte dans la deuxième vidéo d’Ismaïl Bahri, Résonances, dans laquelle l’artiste évoque l’exil et le retour au berceau originel de façon subtile et poétique. L’artiste inscrit à l’encre noire dans une baignoire (celle de la maison de son enfance), des mots en arabe, puis filme la montée des eaux. Le voile noir – de l’oubli – qui recouvre les parois de la baignoire, vient troubler les mots, et la ligne de flottaison qu’il dessine fait écho à la frontière, mais aussi à la ligne d’horizon (d’une mer qu’il a dû traverser pour venir en France). Par ses poèmes visuels, Ismaïl Bahri parvient à passer du singulier – l’intimité d’une salle de bain – à l’universel, abordant les questions de mémoire et de perte d’une partie de sa culture.

Le film d’Amel El Kamel, Abena, Prix du jury 2009, est assez similaire de ce point de vue. Il remonte le fil d’une histoire intime par l’évocation d’une couverture traditionnelle, l’Abena. La trouvaille du film repose sur l’absence visuelle de l’Abena dont on parle tant. Cette couverture serait davantage un prétexte à parler des liens insaisissables entre deux continents, propres aux souvenirs d’enfance, tant visuels qu’olfactifs.

Les réalisateurs du programme court 2009 témoignent d’une effervescence remarquable de la production Maghrébine (on pense à la prometteuse génération de l’Esav Maroc), d’un souci de plasticité autant que d’engagement et d’intelligence.


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