Noël et sa mère

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Ciné-thérapie

Portrait intime

Noël, historien du cinéma, et sa mère, sont réunis pour discuter de leur relation particulière devant une caméra. Pour montrer cette proximité spéciale, c’est par un double dispositif de mise en scène que procède l’écrivain Arthur Dreyfus. D’abord, celui de l’abstraction : ils sont tous deux situés devant un fond noir déconnecté de tout lieu précis (on comprendra plus tard qu’ils se situent en réalité sur une scène de théâtre.) Est ainsi créé un espace dans lequel, séparément, l’un et l’autre vont se répandre en paroles sur tous types de sujets concernant leur relation : naissance, enfance, amour filial, influence de la vie amoureuse de la mère, influence du père et, surtout, sexualité. Conférant au film une esthétique intimiste et sensuelle, ce parti pris offre l’opportunité de focaliser l’attention du spectateur sur de multiples petits détails concernant les personnages : leurs tenues, leurs regards, leurs tons et leurs tics. Comme celui des doigts de la mère s’enroulant les uns sur les autres au cours d’un de ses témoignages ; signes de nervosité en contradiction avec le statisme et l’apparente tranquillité de son corps. Offrant au regard du spectateur, un intéressant jeu de contraste et de complexités entre l’attitude, l’aspect et les propos de ce couple mère-fils. Montés parallèlement l’un avec l’autre, ces témoignages dévoilent les divergences de points de vue et d’impressions sur les événements évoqués ; interrogeant la nature intime, subjective et parfois malaisante, des souvenirs et la manière dont ces derniers peuvent forger les individus.

Rire freudien

En complément de ces séquences, et c’est le second dispositif, le fils et sa mère sont parfois filmés assis sur un canapé, découvrant ensemble les témoignages de l’un et l’autre sur une télévision, pour y réagir à chaud. Autant de face-à-face truculents où les désaccords, les obstinations, les entêtements, les conflits et la tendance à l’égocentrisme (pouvant mener à des réactions explosives, voir à interpeller le réalisateur lui-même) s’affichent au grand jour et démontrent la complexité de leur relation, comme l’originalité de leur caractère. Ces confrontations, analyses et auto-analyses par la parole, confèrent à Noël et sa mère une forte dimension psychanalytique (le film rendra d’ailleurs hommage à Freud en le remerciant durant son générique de fin.) Dimension qui, par la truculence de certains témoignages ou de certaines introspections, ne sera pas sans évoquer les thérapies cocasses innervant le cinéma de Woody Allen ; comme dans Annie Hall par exemple. Le rire que provoque le film émane autant des contradictions des personnages, mises en exergues par le double dispositif, que par l’originalité du caractère de Noël et du ton détaché qu’il peut prend pour discuter des aspects les plus originaux de ce dernier. On pensera tout particulièrement à son rapport à la sexualité, lui qui se revendique homosexuel sans activité sexuelle ; adorant porter des collants et se travestir sans jamais admettre qu’il s’agit de fétichisation. Le tout étant parachevé par un montage balisant les témoignages de photographies ou d’images d’archives pouvant montrer Noël en situation (en train de porter des collants en pleine rue…), issus de ses films étudiants, de reportages ou de ses créations théâtrales ; les uns et les autres ayant, justement, la sexualité pour sujet.

Constante émotionnelle

Mais si le film est drôle, il ne l’est jamais aux dépens de ses personnages, qui ne sont jamais ridiculisés par le metteur en scène. Ce qui aurait facilement pu être le cas, tant la spécificité de cette relation ambivalente, mixte d’amour haine fusionnelle entre le fils et sa génitrice, a provoqué des situations ou des comportements atypiques au cours de leur vie. De plus, grâce à la sincérité dont ils font preuve tous deux, grâce à leur franchise et leur capacité à montrer leur émotivité (et laisser quelques larmes poindre à la fin du film), ils offrent à Noël et sa mère une véritable puissance émotive. Émotivité qui, au-delà de toutes les contradictions de points de vue, demeure la seule véritable constante de leur relation et l’élément le plus objectivement véridique au sein des multiples récits évoqués. Elle en devient le cœur même de l’identité respective des deux personnages. C’est notamment le cas de l’identité de Noël qui, en raison de ses particularismes, n’a jamais vraiment pu entrer dans aucune des cases qu’avait à offrir la société. Le film tend ainsi à démontrer la nature fluctuante et parfois abstraite de l’identité ; qui ne peut alors plus être réduite au genre. Ce qui prend à rebrousse-poil certaines tendances à l’identitarisme actuelle, cherchant à essentialiser et définir de manière rigide les individus en fonction de leurs races, sexes, sexualité… etc. Noël et sa mère est un film gavé d’humour et de tendresse, témoignant d’un regard fasciné, tendre et affectueux pour ses personnages. Il n’est jamais long ni ennuyeux et ses musiques au piano ponctuent l’ensemble d’une note douce-amère. On s’attache facilement à ses deux personnages hors norme et hors système, toujours élégamment mis en scène : le film est à déguster avec gourmandise.

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Durée : 90 mn


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