Nicolas Philibert, incontournable

Article écrit par

Cinéaste de la condition humaine, Nicolas Philibert témoigne du réel à travers neuf documentaires. Connu surtout pour le film « Être et avoir », c´est avec émotion et sensibilité que les images se succèdent dans l´ensemble de son oeuvre, sans retouches ni faux semblants.

« Prix du meilleur documentaire de l’année », « Prix de la recherche », « Prix spécial du jury », « Prix Louis Delluc 2002 »… Les récompenses ne manquent pas concernant les réalisations de Nicolas Philibert. De La voix et son maître (1978) à Retour en Normandie (2006), c’est une traversée de ces coins de France oubliés, laissés à l’anonymat, que nous propose le réalisateur.

Pourtant, la simplicité a parfois tout intérêt à être vue : elle nous rappelle les subtilités du quotidien, les perles cachées de moments routiniers. Observer une « classe unique » au cœur d’un village d’Auvergne (Être et avoir, 2002) où tous les enfants apprennent malgré leurs âges différents auprès d’un même maître, c’est arrêter le temps quelques instants et apprendre grâce au documentaire. Il suffit parfois d’une situation somme toute banale pour comprendre la difficulté à s’insérer dans un groupe – scolaire ou autre –, à révéler sa personnalité, à apprendre malgré des chances de réussite plus faibles que les autres.

A deux pas de ce cadre de tournage, une autre école a été mise en scène auparavant par Nicolas Philibert dans Qui sait ? (1998). Il s’agit des réflexions nocturnes d’une classe de jeunes comédiens au sein du Théâtre national de Strasbourg. Au programme, transfigurer le réel pour faire naître la fiction. Une réalisation théâtrale, sans metteur en scène, au sein même d’un docu-fiction ayant pour trame de fond la ville de Strasbourg. En nous donnant à voir un travail de groupe, en nous menant vers les élèves aussi simplement que par la parole et les interactions qu’ils peuvent avoir entre eux, Nicolas Philibert laisse chacun d’entre nous prendre conscience du réel. Il va même jusqu’à écarter la caméra de leur champ de vision, se faire oublier pour mieux conserver le naturel des scènes jouées. Le réalisateur montre tout simplement ce qu’il voit, ou souhaite montrer : « Strasbourg n’était qu’un prétexte, le réservoir dans lequel ils [les élèves] pourraient puiser pour exprimer un regard sur le monde ».

Sans oublier l’actualité. Nicolas Philibert est marqué, on le sent dans ses réalisations, par une envie de toucher la réalité par l’image. Et parfois, elle s’avère difficile à matérialiser, sans doute trop proche de l’actualité. Pour ce faire, le réalisateur s’engage. On pense notamment à Nous sans papiers de France (1997), cosigné par deux cents réalisateurs, producteurs, distributeurs et exploitants de cinéma ou, en 1993, au film Le Pays des sourds, long métrage dans lequel un monde inconnu, sans parole ni dialogue, est investi, laissant place à une toute autre communication, celle des signes échangés entre personnes malentendantes.

Du rire aux larmes, une fois encore Nicolas Philibert montre ceux et celles qui sont mis de côté. Que ce soit auprès d’enfants ou d’animaux, le réalisateur arrive à capter notre attention pour nous faire partager des vies différentes, surprenantes et originales à travers des témoignages, des moments simples et émouvants. Un animal, des animaux (1994) nous fait partager le délaissement de centaines d’animaux du Muséum national d’Histoire naturelle, abandonnés lors des travaux de rénovation. Nous sommes émus par ces mammifères, oiseaux, reptiles et autres qui gambadent, sans queue ni tête.

Une rétrospective méritée. La polémique suite au succès du film Être et avoir – un instituteur et des familles qui eurent le sentiment d’être abusés – s’avère finalement être une tâche noire minime dans le parcours de Nicolas Philibert. Malgré cette séquence judiciaire, la rétrospective qui s’est déroulée du 7 au 29 Novembre 2009 dans le cadre du « Mois du film documentaire » à la Bibliothèque publique d’information du Centre Pompidou est un hommage largement mérité. Qu’il aborde les musées (La Ville Louvre, 1990), les malades d’une clinique psychiatrique (La Moindre des choses, 1996) ou un fait divers (Retour en Normandie, 2006), Nicolas Philibert excelle dans son art comme peu de réalisateurs savent le faire. Sujets sensibles, jeux de lumières, montages impeccables, sans doute a-t-il été inspiré par René Allio et Alain Tanner, ses pères de réalisation. Sans doute aussi a-t-il été bercé par Nancy, sa ville natale où il a vu le jour en 1951, ou ses études de philosophie, ses documentaires de baroudeur en pleine montagne ou pour des événements sportifs destinés à la télévision.

Des longs-métrages, des courts-métrages, des docu-fictions, des réalisations télévisuelles, rien ne l’arrête. D’ailleurs, ce n’est pas Nénette qui dira le contraire : cet orang-outan lui volera la vedette courant 2010 pour simplement avoir retenu son attention. Née dans les forêts de Bornéo, pensionnaire aujourd’hui à la ménagerie du Jardin des Plantes, Nénette laisse entrer la caméra dans sa cage, histoire de mieux observer ses visiteurs… pour le meilleur et pour le rire !

Coffret 9 DVD Nicolas Philibert (quatorze films au total, dont un inédit, Nénette) disponible depuis le 17 Novembre 2009, Editions Montparnasse, prix indicatif : 70 euros.


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi