Mystery

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Polar chinois sous influence coréenne et sur fond d´adultères.

Il était temps. Pour la première fois depuis 2006, un film de Lou Ye sort marqué du sceau du Bureau du cinéma de Pékin, qui avait frappé le réalisateur d’une interdiction de filmer de cinq ans après avoir présenté Une jeunesse chinoise (2007) au Festival de Cannes sans demander d’autorisation. De fait, Mystery avance manifestement plus à découvert que Nuits d’ivresse printanière (2010), tourné dans la clandestinité la plus totale à Nankin et financé en grande partie par le système français ; ou que Love and Bruises (2011), son très beau avant-dernier film qui se déroulait majoritairement à Paris. C’est ici Wuhan, mégalopole du centre de la Chine, qui sert de décor au scénario de Lou Ye : on la découvre d’en haut, par des plans aériens vertigineux qui préfigurent une ville anonyme, gigantesque, propre à engloutir ses habitants et les évènements qu’elle abrite. Par le jeu d’un zoom avant, on plonge presque littéralement dedans, jusqu’à cette route en lacets battue par la pluie où une jeune femme, hagarde et en sang, se fait renverser par un chauffard alcoolisé fils à papa. Il est millionnaire, on l’apprendra vite, et bénéficiera de l’impunité grâce à un système de corruption bien rodé.

La séquence de l’accident, filmée en plans larges et très découpés, augure mal de ce qui suit : l’histoire du délitement d’un couple suite à la découverte par la femme des nombreuses infidélités de son mari. Le drame de départ y est bien lié, on le découvrira plus tard, mais le cœur du film, si c’est bien un polar, n’est pas tant dans les rebondissements que dans la peinture, encore et toujours, des rapports amoureux au sein d’une nouvelle bourgeoisie chinoise plutôt frigide. S’il y a rupture dans Mystery, c’est donc moins dans les motifs du cinéma de Lou Ye que dans sa manière de les dérouler : son nouveau film parle encore de relations fusionnelles, violentes, hors de toute sérénité, mais il le fait sans hâte, et à la lumière. Cette fois-ci adoubé par les autorités chinoises, le cinéaste filme de manière peut-être moins immédiate, moins urgente. Il perd parfois de son caractère brut (les scènes d’amour bisexuel de Nuits d’ivresse printanière tournées à la sauvette ; les disputes de Hua et Mathieu dans Love and Bruises), sans toutefois se départir d’un mode de filmage très mobile, caméra portée ou à l’épaule, directement inspiré de l’expérience clandestine de ses films précédents.

 

Bien moins clean, beaucoup plus rugueuse, la photo de Mystery rappelle pourtant, et à maintes reprises, une certaine frange du cinéma sud-coréen : celui des thrillers noirs de noirs de Bong Joon-ho (Mother, 2009), Kim Jee-Woon (J’ai rencontré le diable, 2011) ou Park Chan-wook (Old Boy, 2003). Si le cahier des charges n’est, loin s’en faut, pas rempli à la lettre, on y retrouve une même ambiance délétère, un même climat poisseux, une même météo peu clémente – difficile de ne pas y voir une analogie quand, dans Mystery, il pleut tout le temps. Le film de Lou Ye est sombre lui aussi, d’une noirceur abyssale dans laquelle les personnages se perdent, sous le coup de la folie passagère ou d’une déception brutale. La jeune femme renversée au début du long métrage est la maîtresse de Yongzhao, cadre dynamique qui a autant de vies que d’amantes – et que d’enfants, illégitimes ou reconnus. Le scénario s’inspire d’histoires issues de la vie quotidienne en Chine, notamment du journal en ligne d’une Chinoise trompée, et sert de prétexte à la mise en jeu de plusieurs aspects de la société actuelle du pays : double vie, crimes passionnels, nouveaux riches, entre autres.

C’est ce qui intéresse le plus Lou Ye, qui se sert de la trame du polar pour scruter la vie d’un couple de la petite bourgeoisie, où l’homme est plus lâche que salaud et tente d’équilibrer du mieux qu’il le peut les différents pans de son quotidien. Mystery fonctionne alors sur un mode totalement binaire, qui lui nuit parfois : la trame policière d’une part, l’étude de mœurs d’autre part, qui se nourrissent l’une et l’autre. C’est ce dernier aspect que l’on retient, la manière que le cinéaste a de mettre en scène, avec un cynisme évident, les arrangements de la Chine avec la morale et la loi ; la perte de principes qui mène, ici, au meurtre et contribue à la part de mystère d’une société contrainte à la négociation permanente. L’examen du scénario par la censure chinoise a duré cinq mois : celle-ci n’a exigé ni coupe ni modification, mais a demandé un carton en fin de film précisant que chaque personnage connaît le sort qu’il mérite. Cette mention, seule concession qu’ait dû faire le réalisateur, est absente de la copie française, et lui rend évidemment grâce : on sait bien que, chez Lou Ye, tout est infiniment plus compliqué.

Titre original : Mystery

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Durée : 98 mn


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