Mariage à Mendoza

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Chaleureux et touchant, ce « road trip » franco-argentin s´avère malheureusement trop convenu sur la forme comme sur le fond.

Tout d’abord, un trompe-l’œil. Le mariage évoqué dans le titre n’est qu’un prétexte. Le script exploite cet évènement à seule fin de lancer deux demi-frères, Marcus et Antoine, dans un improbable road trip à travers l’Argentine. Face à ce choix scénaristique, on sent sourdre une ironie : les existences de Marcus et Antoine semblent se poser en contrepoint au mariage de leur cousin, tant elles sont l’une et l’autre marquées – certes de manières différentes – par une instabilité, un désarroi affectif que le film dévoile peu à peu. D’où une sensation de mal-être, qui sous la bonne humeur et la légèreté innerve d’un bout à l’autre cette histoire de famille, l’imprégnant d’un parfum d’authenticité assez touchant. Voilà la première qualité du film, capable de pudeur et d’empathie vis-à-vis de ses personnages, tous vulnérables, profondément humains.

Soit donc deux demi-frères aux antipodes l’un de l’autre. D’abord Marcus, grand escogriffe maigre et rêveur, campé par un remarquable Philippe Rebbot, aux faux airs de Pierre Richard. Puis Antoine, plus débrouillard dans la vie semble-t-il, plus séducteur, auquel Nicolas Duvauchelle prête ses traits. Problème : sa femme vient de le plaquer. Antoine s’enferme dans le déni, le désespoir. Marcus tente de le consoler et d’insuffler à la découverte de ce pays nouveau un peu de son enthousiasme. Malgré l’absence de la femme d’Antoine, décision est prise de se rendre au fameux mariage, et de franchir les quasiment mille kilomètres qui séparent Buenos Aires de Mendoza. L’occasion pour les deux frères de retrouver leur complicité après des années d’éloignement, et pour l’un d’eux, peut-être, de reprendre goût à la vie – quitte à ce que l’autre suive la trajectoire inverse…

 
 

 
 
Promesses non tenues.


On pouvait craindre une comédie familiale un peu frelatée, fondée sur le ressort hyper classique du choc des caractères, dont l’originalité n’aurait tenu qu’à des effets « cartes postales ». Or le film s’avère un peu mieux que cela. Le premier tiers du récit amorce même des pistes intéressantes. La séquence du bordel de Buenos Aires, inspirée d’un court métrage du réalisateur datant de 2006 (¿ Dónde está Kim Basinger ?) séduit par sa fraîcheur, sa truculence. Sans être inventive, la mise en scène parvient à entretenir au seuil du film une sensation de liberté. Tout peut arriver, croit le spectateur. Promesse enivrante mais délicate à tenir : après une telle entrée en matière, difficile pour ce film très linéaire de ne basculer ni dans l’invraisemblance, ni dans la banalité. Ces deux écueils, surtout le dernier, empêchent nettement Mariage à Mendoza d’atteindre l’horizon qu’il semblait s’être fixé – c’est-à-dire l’aventure, la vraie, par laquelle chacun se révèle à la fois à soi-même et aux autres. C’est qu’assez vite, Mariage à Mendoza cumule les facilités et artifices scénaristiques. La relative fluidité du rythme, l’absence de pesanteur n’y font rien, les frères ont à peine quitté Buenos Aires que déjà, quelque chose de la fraîcheur initiale s’est perdu en route. Un vague ennui menace. Seuls les acteurs, Philippe Rebbot en tête, emportent le morceau. Jusqu’à ce que le film se conclue, plutôt joliment, sur un subtil mélange de tendresse et de mélancolie, distillant une certaine émotion à défaut de totalement convaincre.

En fin de compte, pourquoi ce film somme toute sympathique et chaleureux suscite-t-il une telle tiédeur ? Sa principale limite pourrait tenir à l’incapacité de la mise en scène à incarner ce qui constitue pourtant un de ses ressorts scénaristiques : le « syndrome de Stendhal », c’est-à-dire le vertige, jusqu’à la perte de connaissance, que peut susciter chez certaines personnes une émotion esthétique ou affective. La réalisation trop plate, trop peu sensorielle, n’incarne guère les effets concrets et parfois mystérieux du dépaysement de ces hommes en état de perdition sentimentale, mais dont le regard se retrouve nettoyé, renouvelé d’être confronté à tant de rencontres marquantes et de lieux inédits. En sortant de ses confortables sentiers balisés, qu’ils soient narratifs ou formels, le film aurait pu devenir passionnant sans rien perdre de sa chaleur humaine. Entre beaucoup d’exemples, et dans un tout autre style, vient en mémoire un autre road trip argentin, filmé lui aussi par un cinéaste d’un autre continent, et brassant avec beaucoup de liberté dépaysements physiques et désarrois sentimentaux : Happy Together (1997) de Wong Kar-wai, qui empoigne par la beauté de sa musique et sa photographie incandescente, embrasées des états d’âme de ses personnages, loin du cinéma bourgeois et douillet où se complaît finalement Mariage à Mendoza.

Titre original : Mariage à Mendoza

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Durée : 94 mn


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