Lost Country

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Tout en faisant preuve d’une grande sensibilité, le deuxième film de Vladimir Perišić dissèque avec acuité les mécanismes de la violence politique.

1996, suite à l’invalidation d’une partie des résultats électoraux par le gouvernement Milošević, un mouvement contestataire étudiant se met en place en Serbie. Strefan (Jovan Ginic), fils de la porte-parole du pouvoir, Markelna (Jasna Djuricic), se retrouve alors entre deux feux.  S’investir pleinement dans le mouvement de révolte ou rester dans la ligne politique empruntée par sa famille ? Vladimir Perišić a attendu quatorze ans après Ordinary People pour se lancer dans son second long-métrage. Temps nécessaire pour transposer un sujet fort en lien avec son histoire personnelle, son vécu in situ en tant que jeune étudiant.

Au cœur du mensonge

Depuis la nuit des temps, y compris dans des régimes dits démocratiques, les gouvernants désireux de conserver coûte que coûte  leur domination n’hésitent pas pour cela à employer tous les moyens. Agiter le drapeau d’une menace extérieure, accuser l’opposition de complotisme, utiliser les forces armées… Le Mensonge est une arme sournoise qui finit par devenir la Vérité à force d’être martelé. Si le sujet de Lost Country reste éminemment politique, son traitement ne s’inscrit pas dans la lignée des films à thèse.   Ici, les tracts politiques, les unes de la presse, les communiqués officiels radio et télé, tous ces inserts ponctuels mais fréquents transcrivent la confusion et la collusion des propagandes, bien plus  qu’une recherche précise de la vérité. Nous plaçant au cœur d’ un terrain explosif, miné par l’incapacité des principaux protagonistes à tenir un raisonnement cohérent et mesuré.  Dans une approche rappelant celle de Cristian Mungiu dans R.M.N. ( 2022),  Vladimir Perišić  décortique ainsi les mécanismes de la violence intra et intercommunautaire.

Victime – qui se sent également coupable – de ce drame national, Stefan tourne ou baisse le plus souvent la tête pour dissimuler ses réelles opinions. En période de conflit, il faut choisir sa vérité et s’y tenir, mais Stefan, lui, change en permanence de version, cachant même le rôle politique de sa mère, De tous les personnages en présence, il est celui qui souffre le plus de ses propres mensonges.

Accepter de voir les faits, choisir sans ambigüité son camp, et par la même passer à l’âge adulte,  le nœud gordien se doit d’être tranché. Mais Stefan se retrouve incapable de mettre en action la formule libératrice – Be Yourself… – imprimé sur son sweat-shirt favori. Source de cette souffrance, la relation fusionnelle – pour ne pas dire œdipienne – avec une mère fascinante, souvent absente mais omniprésente. Chacune de leurs retrouvailles est ponctuée par un long moment de tendresse, tendancieux et infantilisant.  Dans la lumière feutrée de leur intimité, Markelna couve « Sa petite remorque », – surnom de Stefan – tel un enfant en bas-âge. Contrepoint définitif à cette dépendance, durant la soirée d’anniversaire du grand-père, Stefan quitte précipitamment le repas. Pourtant toujours aussi impressionnant, le regard de Markelana ne peut s’affranchir de la fenêtre qui lui fait obstacle, dans une magnifique scène qui alterne des plans sur le visage impuissant de la mère avec ceux  sur la silhouette du fils qui s’échappe dans la nuit.

Illusions perdues

Dès l’incipit, un dialogue que l’on devine quasi rituel entre Stefan et son grand-père sème le doute sur le passé prétendument glorieux et  l’engagement politique de la famille. L’orage approche, les deux hommes rejoignent la maison de campagne, le calme avant la tempête. Les illusions de Stefan menacent de s’effondrer mais le jeune homme  veut continuer à y croire. Son engagement étudiant pour le parti d’opposition présente une autre facette de sa capacité à s’illusionner : progrès social pour tous et une justice équitable. Toute la cruelle beauté du drame réside dans ces irréalisables et inconciliables illusions. Ces deux visions visions opposées de l’histoire et de l’avenir du pays se rejoignent néanmoins dans l’esthétisme de leur déterminisme. Malgré le pouvoir et la détermination pour conserver leurs privilèges  – notion toute relative quand on observe les intérieurs des maisons familiales – la fin d’un « règne » s’annonce. Intérieurs peu éclairés, sourires et bonheur de façade, l’atmosphère ne prête pas à l’optimisme. Dans l’autre camp, au sein de l’établissement universitaire, la naissance du mouvement étudiants semble atrophié par la peur. Contrastant avec la représentation habituellement proposée par le média cinéma.   Le triste devenir du mouvement se trouve même annoncé d’une façon prophétique par Ana, la petite amie de Stefan :  » Dans quelques mois la police aura … dans quelques années le gouvernement….  « . Les émeutes présentent un caractère peu spectaculaire, une économie de moyens souvent associé aux récits post-apocalyptique, dans lesquels le pouvoir de résistance des humains semble exsangue. En maintenant  les séquelles des actes de violence hors-champ – à l’instar des échauffourées entre Stefan et ses ex-camarades – l’effet est proprement glaçant. Difficile de sortir indemne face à un telle folie.

Lire également l’interview de Vladimir Perišić

 

 

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Durée : 98 mn


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