Loin de Sunset Boulevard

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Euphorisant et douloureux à la fois, la dernière réalisation d’Igor Minaiev flirte sensuellement avec les perversités du Hollywood Rouge des années Trente. Une réussite.

Aux environs de 1980, pendant la "Perestroïka". Un couple d’un certain âge prépare avec soin et angoisse, dans l’intimité de sa maison, les derniers détails permettant une sortie réussie. Dehors, une meute de journalistes les attend. Konstantin Dalmatov et son épouse Lidia Polyakova forment un duo hors-norme véhiculant toute la symbolique du cinéma soviétique de l’ entre-deux guerres.

Au début des années folles. Dalmatov revient en URSS avec Alexandre Mansounov, son amant, avec qui il a passé un séjour aux États-Unis. Leur relation découverte par les autorités, Dalmatov est alors obligé de collaborer. Dans un article du Code Pénal de la Fédération Russe datant du 07 mars 1934, l’homosexualité est considérée comme un crime passible de huit ans d’ emprisonnement. Mais ce sacrifice sera à double tranchant. Certes, il pourra réaliser les comédies musicales dont il rêve. Une maigre consolation à côté de la mort de son amant dans d’ étranges circonstances. La perte de son Pygmalion sera pour Dalmatov une épreuve des plus redoutables. Seul dans cet univers hostile, il lui faudra trouver des palliatifs.

Une double lutte se met ainsi en place. Afin de dissimuler au mieux son homosexualité, Dalmatov épousera celle qui est son actrice fétiche : Lidia Polyakova. Dès le casting, alors que toutes les prétendantes sont filmées en plan large, Lidia apparaît, elle, en gros plan. Son visage de Gold Diggers à la Busby Berkeley transperce l’image et touche Dalmatov au plus profond de son être. Il aime la beauté et la grâce : Lidia en est l’incarnation. Ce nouveau duo vivra de folles années sous la protection de l’État Soviétique. Ils seront les stars du Hollywood Rouge, le peuple en fera des icônes. Un oasis de plaisir dans un régime intransigeant.

Malgré cette popularité, Dalmatov devra par ailleurs lutter contre la censure. Bien sûr, il fait le cinéma qu’il souhaite, mais l’enjeu est ailleurs : ses films doivent plaire à Staline. La première projection devant le dictateur est source d’angoisse. Dalmatov vit au ralenti, dans l’attente, dans la peur. Sa vie se joue sur quelques images. Et puis vient la libération. Staline aime les comédies musicales, Staline aime le cinéma de Dalmatov : alors il lui accordera sa protection. Le réalisateur devra à présent accoucher d’une création dans les contraintes…

Ce qui se met en place tout au long de Loin de Sunset Boulevard est une véritable réflexion sur l’intégrité et la liberté artistique, qui pointe avec tact et pudeur les aberrations d’une époque. Sans être un film historique, le réel cohabite ici harmonieusement avec la fiction. L’histoire de Dalmatov et Mansounov est à mettre en perspective avec la relation qui exista entre Grigori Aleksandrov et Serguei Eisenstein. Un voyage dans le temps que complète une bande son magistrale. La musique originale de Vadim Sher, influencée par le swing des années Trente, reprend les mélodies et les rythmes qui faisaient fureur dans les caves à jazz de Chicago. L’image parfois se pare d’un flou artistique permettant une immersion dans les songes, dans les souvenirs de Dalmatov. Il revisite sa vie, revit ses émotions, plonge dans les douleurs de son histoire.

Loin de Sunset Boulevard, hommage aux comédies musicales de Busby Berkeley, aux films d’Eisenstein, au jazz de Duke Ellington. Hommage aux arts qui se développent dans les années Trente, malgré des temps difficiles et incertains. Igor Minaiev réussit avec fraîcheur un portrait au vitriol d’une société malmenée par les interdictions dictatoriales.

Titre original : Far from Sunset Boulevard

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Durée : 130 mn


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