
Les personnages, les mouvements et les espaces en question
Paul Obadia remarque à juste titre que les personnages des quatre films, Michel, Mouchette et Hulot, sont des personnages en mouvement constant et analyse la façon dont chacun chemine, cherche sa voie, au sens propre comme au figuré, comment leurs trajets sont souvent déviés, les personnages dévoyés par des circonstances extérieures et par extension mis en attente, avant de circuler à nouveau. Hulot dans PlayTime cumule les stations, se laisse contrarier l’itinéraire, par un mouvement de foule, une connaissance, un reflet trompeur, de même que Mouchette à la fin du film éponyme ne cesse d’être interrompue dans sa quête de lait par divers villageois après le décès de sa mère. Si les déplacements sont tout sauf linéaires, les mouvements sont eux aussi limités, encadrés, par l’architecture moderne (la fameuse Maison Harpel de Mon oncle par exemple), l’autorité paternelle (Mouchette), la loi (le commissaire dans Pickpocket), les règles sociales, les panneaux de signalisation (PlayTime), etc. Pour les connaisseurs de Tati et Bresson, ces notions feront office de rappel.

La partie la plus intéressante de cette étude reste le chapitre consacré à la façon dont les personnages habitent le monde – malgré tout ! (2) -, physiquement d’une part, dans la société qui y est dépeinte (celle des années 50-60), et diégétiquement dirait-on d’autre part, dans le champ (et a fortiori dans le hors-champ et le hors-vue, passage captivant du livre). Paul Obadia analyse donc comment intérieur/extérieur sont construits, intériorité/extériorité y sont exprimés cinématographiquement par les deux auteurs. Il est aussi question du rapport à l’autre des personnages principaux (la communication, au sens oral du terme, est largement mise à mal dans les quatre films qu’on pourrait qualifier de taiseux, et encore plus chez Tati, et trouve – ou pas – d’autres moyens pour s’établir entre les êtres), de leur marginalité, recherchée ou non et enfin de leur sexualité, qui comme l’explique l’auteur s’exprime par le déplacement : Michel dans Pickpocket n’aura de cesse d’attaquer la périphérie – les gens qu’ils volent -, au lieu d’atteindre l’être réellement convoité en la personne de Jeanne. Monsieur Hulot dans Mon oncle qui, à défaut de donner l’habituelle tape sur le nez à sa jeune voisine, désormais jeune femme, sexuée donc, la donne à sa mère.

Établissant quelquefois des comparaisons hasardeuses entre les scènes/plans (comme entre le plan de la lune et des nuages dans Mouchette et un plan de PlayTime montrant les stations lumineuses d’un ascenseur vues de l’extérieur), des arrêts sur détail qui frôlent parfois l’anecdote, l’étude de Paul Obadia offre néanmoins des analyses subtiles et poétiques de certains aspects des films des deux réalisateurs, mais ne convainc malheureusement jamais réellement quant à la pertinence de leur rapprochement.
Paul Obadia, Le Personnage, le mouvement et l’espace chez Jacques Tati et Robert Bresson, éditions L’Harmattan, 277 pages, 28€. Sortie juillet 2012.
(1) Auteur par ailleurs de Pedro Almodovar, l’iconoclaste aux éditions du Cerf, ou encore Mystic Rver, aux éditions du Céfal.
