Livre Tati/Bresson par Paul Obadia

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Quelle drôle d´idée de réunir deux cinéastes qui certes, ont réalisé leur film à une même époque, mais dans deux registres bien différents, drôle d´idée de confronter des personnages comme Michel de « Pickpocket » ou Mouchette dans le film éponyme à Monsieur Hulot. Drôle d´idée, définitivement.

Dans son étude intitulée Le Personnage, le mouvement et l’espace chez Jacques Tati et Robert Bresson, Paul Obadia (1) propose une lecture et une analyse conjointes d’un corpus précis de films de Jacques Tati et Robert Bresson : Mon oncle, PlayTime, Pickpocket et Mouchette. Dès l’introduction, le scepticisme guette quant aux arguments qui ont présidé au rapprochement des deux cinéastes et des films en question. Paul Obadia évoque une même exigence chez les deux hommes (un point commun un peu mou, heureusement, ils n’étaient pas les seuls à l’être à cette époque, en vrac nous viennent Franju, Godard, Truffaut, Varda et consorts) ; un même contexte historique, celui de l’après-guerre et des Trente Glorieuses, une même rupture dans le paysage cinématographique français qui se voulait alors volontiers réaliste, porté par des dialogues écrits et des têtes d’affiche (Bourvil, Fernandel, etc.) ; une critique pas franchement emballée par leurs propositions cinématographiques à l’époque ; et une même forme d’abstraction dans leur film (argument des plus pertinents). Quand bien même l’auteur s’appuie sur des citations de Duras ou de Pialat comparant Bresson et Tati pour donner autorité à cette association, les points communs annoncés semblent un peu faibles et le lien entre les univers des deux cinéastes, les personnages, les situations et leur environnement n’aura de cesse d’être développé pendant tout l’ouvrage avec plus ou moins de pertinence. D’emblée, Paul Obadia précise qu’il ne traitera pas spécifiquement du travail sonore qui a fait la renommée de chacun, afin de ne pas recenser ce qui a déjà été amplement analysé. Dommage, une approche sonore, ne serait-ce que pour rappel, aurait largement trouvé sa place ici.

 

Les personnages, les mouvements et les espaces en question

Paul Obadia remarque à juste titre que les personnages des quatre films, Michel, Mouchette et Hulot, sont des personnages en mouvement constant et analyse la façon dont chacun chemine, cherche sa voie, au sens propre comme au figuré, comment leurs trajets sont souvent déviés, les personnages dévoyés par des circonstances extérieures et par extension mis en attente, avant de circuler à nouveau. Hulot dans PlayTime cumule les stations, se laisse contrarier l’itinéraire, par un mouvement de foule, une connaissance, un reflet trompeur, de même que Mouchette à la fin du film éponyme ne cesse d’être interrompue dans sa quête de lait par divers villageois après le décès de sa mère. Si les déplacements sont tout sauf linéaires, les mouvements sont eux aussi limités, encadrés, par l’architecture moderne (la fameuse Maison Harpel de Mon oncle par exemple), l’autorité paternelle (Mouchette), la loi (le commissaire dans Pickpocket), les règles sociales, les panneaux de signalisation (PlayTime), etc. Pour les connaisseurs de Tati et Bresson, ces notions feront office de rappel.

 

 

La partie la plus intéressante de cette étude reste le chapitre consacré à la façon dont les personnages habitent le monde – malgré tout ! (2) -, physiquement d’une part, dans la société qui y est dépeinte (celle des années 50-60), et diégétiquement dirait-on d’autre part, dans le champ (et a fortiori dans le hors-champ et le hors-vue, passage captivant du livre). Paul Obadia analyse donc comment intérieur/extérieur sont construits, intériorité/extériorité y sont exprimés cinématographiquement par les deux auteurs. Il est aussi question du rapport à l’autre des personnages principaux (la communication, au sens oral du terme, est largement mise à mal dans les quatre films qu’on pourrait qualifier de taiseux, et encore plus chez Tati, et trouve – ou pas – d’autres moyens pour s’établir entre les êtres), de leur marginalité, recherchée ou non et enfin de leur sexualité, qui comme l’explique l’auteur s’exprime par le déplacement : Michel dans Pickpocket n’aura de cesse d’attaquer la périphérie – les gens qu’ils volent -, au lieu d’atteindre l’être réellement convoité en la personne de Jeanne. Monsieur Hulot dans Mon oncle qui, à défaut de donner l’habituelle tape sur le nez à sa jeune voisine, désormais jeune femme, sexuée donc, la donne à sa mère.
 

Établissant quelquefois des comparaisons hasardeuses entre les scènes/plans (comme entre le plan de la lune et des nuages dans Mouchette et un plan de PlayTime montrant les stations lumineuses d’un ascenseur vues de l’extérieur), des arrêts sur détail qui frôlent parfois l’anecdote, l’étude de Paul Obadia offre néanmoins des analyses subtiles et poétiques de certains aspects des films des deux réalisateurs, mais ne convainc malheureusement jamais réellement quant à la pertinence de leur rapprochement.

Paul Obadia, Le Personnage, le mouvement et l’espace chez Jacques Tati et Robert Bresson, éditions L’Harmattan, 277 pages, 28€. Sortie juillet 2012.

(1) Auteur par ailleurs de Pedro Almodovar, l’iconoclaste aux éditions du Cerf, ou encore Mystic Rver, aux éditions du Céfal.

(2) En référence au titre du chapitre VI : « Habiter malgré tout ! », p. 217.
 

 


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