Livre « George Cukor, On/Off Hollywood » de Fernando Ganzo (dir.)

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Un livre intéressant mais inégal sur un cinéaste majeur.

Autant annoncer la couleur tout de suite, l’ouvrage collectif qui vient de paraître aux éditions Capricci ne peut s’apprécier que si l’on est un tant soit peu connaisseur de la longue filmographie du réalisateur américain George Cukor (1899-1983). L’ouvrage regroupe de nombreux auteurs issus des quatre coins du monde, exégètes de l’œuvre, et abordent les films d’un point de vue esthétique et thématique, et à travers les personnalités fortes de l’univers cukorien : à commencer par Katherine Hepburn, sorte de double féminin avec qui il tourna pas moins de dix films, et sa moitié à la ville comme à l’écran : Spencer Tracy. George Cukor est aussi le cinéaste qui a sans doute le mieux abordé la question du genre, de l’homosexualité (l’avant-gardiste Sylvia Scarlett) et du couple en général (la guerre des sexes dans Madame porte la culotte en 1949, le triangle amoureux d’ Indiscrétions en 1940, la tragique histoire d’amour de Une étoile est née en 1954, ou encore la question de l’adultère dans Femmes en 1939). Le réalisateur américain a également souvent situé ses histoires dans le monde du cinéma (et du théâtre) et creusé la figure du comédien, brouillant ainsi les pistes entre réalité et fiction. Enfin, Cukor s’est toujours vu étiqueté – parfois à tort – réalisateur de « films de femmes ». Et pour cause, il les a toutes eues : Audrey Hepburn (My Fair Lady, 1964), Judy Hollyday (le génial Une femme qui s’affiche, 1954), Judy Garland (Une étoile est née), Ava Gardner (La Croisée des destins, 1956 ; L’Oiseau bleu, 1976), Greta Garbo (Camille, 1936, dont les critiques dirent à l’époque qu’elle n’avait jamais été aussi bien dirigée ; La Femme aux deux visages, 1941), Lana Turner (Ma vie à moi, 1950), Marylin Monroe (Le Milliardaire, 1960), Ingrid Bergman (Hantise, 1940), même Anna Magnani (Car sauvage est le vent, 1957) et tant d’autres…
 
 

George Cukor sur le tournage de The Philadelphia Story (1940)
 

Cukor’s touch

Au fil des pages, on découvre les facettes d’un Cukor discret et mondain à la fois, hôte régulier de stars hollywoodiennes triées sur le volet, et un cinéaste radicalement tourné vers ses acteurs, au point de ne filmer qu’eux. Cukor se plaisait à dire qu’à la différence de Hitchcock, il était incapable de faire des plans sur une serrure pour exprimer quelque chose, pour lui, seul le visage en pouvait être le vecteur. La sobriété de sa mise en scène (peu de mouvements de caméra), il la justifiait par la primauté du texte sur les effets visuels, en bon homme de théâtre qu’il fut au début de sa carrière. On découvre également un auteur qui n’avait pas sa langue dans sa poche. Dans un entretien daté de 1964 (sans doute le passage le plus intéressant de l’ouvrage), Cukor se montre très critique envers Hollywood (encore plus lorsque ses films sont mutilés par les producteurs, comme ce fut le cas pour Une étoile est née), tout en étant conscient de ne pouvoir se passer des grands studios. Critique également envers ses propres œuvres et ses confrères (la Nouvelle Vague en prend pour son grade !), mais aussi élogieux envers ses comédiens et ses contemporains cinéastes comme Leo McCarey. Cukor n’hésite pas non plus à revenir sur les échecs cuisants de sa carrière, comme lorsqu’il fut retiré du générique de Une heure près de toi (1932) à la demande de Lubitsch, ou encore évincé de Autant en emporte le vent (1939) au profit de Victor Fleming après un mois de travail.

 

George Cukor sur le tournage de My Fair Lady (1964)
 

Un problème au montage

Affichant un nombre impressionnant d’articles (et c’est bien là le problème), le livre peine à trouver une harmonie entre les auteurs et les sujets, oscillant entre textes fouillés et intéressants, trop pointus, redondances et extrapolations. Il faut attendre les dernières pages du livre pour découvrir un texte biographique de Yola Le Caïnec (qui aurait gagné à introduire le livre), factuel et chronologique, sur la vie de Cukor, le fameux on et off Hollywood. Malgré ce problème de montage pourrait-on dire (l’ordre des textes ne permet pas d’avoir une véritable vue d’ensemble de l’œuvre du réalisateur), l’ouvrage à la couverture rose fluo mérite qu’on le lise jusqu’au bout, ne serait-ce que pour le très beau texte de Pablo García Canga, qui redore poétiquement et tragiquement le blason des losers dans la filmographie du cinéaste, et Dieu sait si les losers sont beaux chez Cukor, surtout de profil.
 
 
George Cukor, On/Off Hollywood de Fernando Ganzo (dir.), Éditions Capricci, 224 pages – Disponible depuis le 22 août 2013.


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