L’île au trésor

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Dédié à « l’enfance éternelle », ce documentaire communique une riche matière vivante.

Mutineries

L’île au trésor
s’ouvre sur l’assaut d’un groupe de petits moussaillons embarqués clandestinement dans ce « grand navire » qu’est la base de loisirs de Cergy-Pontoise, à une trentaine de kilomètres de Paris. Les garçons, rentrés sans billets et menacés d’être d’autant plus refoulés, en qualité de mineurs, ne se découragent pas dans leur plaisir frondeur à profiter des lieux, jusque dans leurs incohérentes justifications face à des agents de sécurité peu dupes qui ont remarqué leur manège. C’est un esprit mutin qui souffle sur ce documentaire lumineux et délicat de Guillaume Brac, où chaque parcelle de l’île de loisirs peut devenir un espace vert de contournement des règles ou de transgression, en même temps qu’une zone de détente et de jeu. Il y a les portails qu’on escalade pour ne pas avoir à payer le ticket d’entrée, les balades de pédalo nocturnes proposées de manière illicite et enjôleuse par un jeune moniteur avide de sensations d’existence. Le cinéaste filme ces interdits offensés, propres à la jeunesse, avec empathie. A ce titre, même si ces contournements du règlement s’intègrent tout à fait dans la représentation d’une société à l’œuvre, ici au sein de la base de loisirs (en témoignent les réunions parfois truculentes entre le directeur de la base et son adjoint sur les diverses dispositions coercitives à prendre pour le fonctionnement du lieu), ils sont tout autant des moteurs de circulation humaine, dans l’échange, dans la parole, et dans l’espace, à travers le geste d’abordage d’un vaste territoire, marquant sa réalisation du même type de trait, limpide et épuré, que dans les documentaires de Claire Simon, comme le magnifique Le Bois dont les rêves sont faits (2016). A l’instar de la cinéaste, Guillaume Brac dévoile, dans son activité de glâneur d’un territoire, une matière éminemment politique.

 

« Film-rencontre »

Ce « film-rencontre », comme le qualifie lui-même Guillaume Brac, avance au gré d’une apparente spontanéité, transparent dans son intention d’écoute, économe dans ses moyens, suivant une déambulation douce, rythmée par la musique tranquille de Yongjin Jeon, compositeur sur les films de Hong Sang Soo, marquant des temps d’arrêt comme autant de temps réceptacle face à ce que l’autre a à offrir ou communiquer : Jérémy, le jeune Adonis habité par cette base de loisirs, plus qu’il ne l’habite, dont chacun des instants de vie semble être commandé par le souci de « se sentir vivant », en regardant le coucher du soleil ou en emmenant une jeune fille qui lui plait sauter d’un pont haut de plusieurs mètres. Le ravissement est vécu comme chanceux et précieux, inscrit dans le grain chaud de la pellicule, recouvrant par moments le film d’un léger drap d’été mélancolique, ne pouvant réchauffer la fin de l’enfance. Les plans fixes, souvent en cadrage d’ensemble, qui forment l’œuvre, renforcent cet accueil bienveillant, son caractère entier, clé d’entrée à une profondeur sensible qui révèle d’autres enjeux, sociaux, économiques (le Cergy-Pontoise filmé ici se distingue sociologiquement de celui filmé par Eric Rohmer dans L’Ami de mon amie, 1987). La caméra, avec son oeil conducteur, attentif et réceptif, capte avec une émouvante grâce les mouvements de vie qui se déploient devant elle, leur qualité de parole, leur générosité et leur pluralité. Dans l’espace, dans les mouvements, dans les sonorités et les images, l’oeuvre se donne comme un parcours d’existence discret, qu’il faut aller chercher, révélant, en effet, dans sa simplicité cinématographique, d’inestimables trésors.

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Durée : 107 mn


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