L’Homme des foules

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Le vide d’une vie. Très ennuyeux et inquiétant à la fois.

S’il s’agissait pour Cao Guimaraes et Marcelo Gomes, les deux réalisateurs de L’Homme des foules, de donner une idée précise de la vacuité et de la solitude chez un individu au cinéma en excluant de nous passionner pour le sujet, alors on peut affirmer que l’objectif est pleinement atteint et que L’Homme des foules est un grand film – au moins parce qu’il montre avec précision justement la vacuité d’une vie. S’il s’agissait pour les deux cinéastes de donner une idée de cette solitude mais en nous épargnant l’ennui le plus profond, cette visée n’aura pas touché sa cible car le film nous transmet directement l’immense neurasthénie de son personnage principal.

Pourtant, L’Homme des foules est à coup sûr une réussite car il n’est pas tiré de n’importe quel scénario, mais se veut ni plus ni moins que l’adaptation d’une œuvre majeure de la littérature anglaise, à savoir de la nouvelle éponyme d’Edgar Allan Poe, publiée en 1840. Le poète connu pour sa noirceur et ses œuvres fantastiques est, il faut bien le dire, un auteur réputé difficile d’accès. Vouloir adapter un de ses ouvrages au cinéma – et singulièrement celui-ci, L’Homme des foules – relevait donc d’une gageure certaine. Défi parfaitement relevé si l’on en juge par la fidélité au texte que Guimaraes et Marcelo Gomes ont observée. Une fidélité jusqu’à retranscrire, à l’écran, sa substantifique moelle.

 

De quoi s’agit-il ? Dans la nouvelle de Poe, le narrateur tapi dans un pub de Londres observe la foule. Son regard se fixe sur un vieillard qu’il décide de suivre. Chez les réalisateurs brésiliens, le narrateur de Poe devient un homme, Juvenal, au visage pâle et barbu vivant dans une cité moderne (Belo Horizonte), conducteur de métro de son état. Deux personnages mais une même solitude, à 150 ans d’intervalle. Les réalisateurs montrent parfaitement tout au long du film, la dualité solitude/multitude qui prévaut dans le texte d’Allan Poe. La solitude de Juvenal, plein cadre, et la multitude hors-champ, mais très proche. Jamais, à aucun moment, l’une se fond dans l’autre. Les deux réalités coexistent constamment, extérieures l’une à l’autre. Grâce à un grand travail sur le son, on perçoit d’un bout à l’autre du film les rumeurs de la ville : le bruit sourd de la circulation, le frémissement de la vie accompagnant les pérégrinations citadines de Juvenal. Pourtant jamais ce dernier ne rentre vraiment en relation avec la foule, avec les autres. Il y a mur invisible entre lui et le monde. La grande réussite du film, c’est d’être parvenu à montrer cette séparation sinistre entre un individu, une singularité, et ce qui l’entoure. Toute cette vacuité passe par le regard vide de Juvenal. L’homme semble s’être astreint à une vie spartiate, presque sans plaisir. Mais ce qui renforce par dessus tout cette impression de solitude implacable, c’est le mystère absolu : sa relation avec Margo, l’autre protagoniste de l’histoire, est une énigme totale et nous ne connaîtrons jamais un seul détail du passé de Juvenal, pas le moindre petit début de raison ne nous sera donné pour expliquer son existence presque absurde, sans la moindre joie.

Rendre compte du « Mystère de l’être », c’est, semble-t-il, le sens profond qu’a voulu donner Edgard Allan Poe à sa nouvelle. Mystère de l’être, même jusqu’à son dernier soupir, lorsque le poète écrit : « Des hommes meurent avec le désespoir dans le cœur et des convulsions dans le gosier à cause de l’horreur des mystères qui ne veulent pas être révélés. » Cao Guimaraes et Marcelo Gomes ont donc bel et bien réussi à transposer au cinéma ce mystère total de l’homme, notamment grâce à un personnage central quasi-mutique évoluant dans une ambiance sinistre.

Titre original : O Homem das Multid~oes

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Durée : 95 mn


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