L’Homme de Londres

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Le dernier – et très beau – film de Béla Tarr sort enfin en DVD chez Shellac. Occasion de mesurer la profonde humanité de ce cinéma de grande scénographie.

Dernier film en date de Béla Tarr, L’Homme de Londres fascine encore, deux ans après sa sortie, par sa manière de dévoiler la part d’humain la plus enfouie de chacun par le biais du « désamorçage » des affects. Les personnages ne sont certes pas dénués de passions, résistant avec le peu d’énergie qui leur reste aux menues humiliations du quotidien, mais de ces passions ne sera donnée à voir que l’hypothèse, la théorie. C’est étrangement sur cette rétention constante, différant sans cesse l’enclenchement d’une situation, l’identification du drame, que repose au final la grande réserve émotionnelle du film.

Plus rigoriste que jamais, tenant de bout en bout une ligne esthétique pouvant apparaître au départ comme étouffante (ce cinéma est le plus scénographique, le moins naturaliste qui soit), Tarr parvient de loin en loin à donner à cette adaptation du beau roman de jeunesse de Simenon une dimension universelle inattendue. Maloin, le personnage principal, d’ours mal léché s’étant fait depuis longtemps au surplace lui tenant lieu d’existence, gagnera au bout de ces deux heures en épaisseur « psychologique », mais pas au sens d’une quelconque explicitation de ses actes et renoncements. Plutôt dans celui d’une consistance, un rapport au monde et à sa complexité se révélant au fil des scènes de plus en plus lisible.

L’Homme de Londres, malgré la maîtrise absolue du moindre segment visuel et narratif qui le caractérise, fut pour son auteur le fruit d’une longue incertitude, le tournage ayant notamment débuté en 2003 pour ne s’achever qu’en 2007, peu avant sa présentation cannoise. Durant ces quatre années, nombre de déboires, parmi lesquels une longue interruption du tournage, suite au suicide du premier producteur, Humbert Balsan, à qui est dédié le film ; la contrainte d’un changement de décor ; la non garantie de disposer du temps nécessaire à l’aboutissement du projet… Les malheurs du cinéaste ne furent ainsi, dans une certaine mesure, pas loin de répondre à ceux de Maloin. Peut-être est-ce justement ce poids de la préparation, du financement puis du tournage qui confère au film cette dimension paradoxalement « minimaliste », dans tous les cas moins ouvertement surdimensionnée que d’ordinaire.

Le talent comme la limite de Béla Tarr se sont toujours un peu situés dans un jeu sur les masses, les volumes de ses décors, espaces et autres motifs (dont les acteurs), aboutissant souvent à une indifférence progressive aux enjeux réels de ses fictions. L’expérience valait le coup d’œil, au sens le plus précis du terme, mais ne manquait jamais de laisser un arrière-goût d’épreuve, de défi auteuriste frisant parfois légèrement l’arrogance. L’adhésion à Satantango ou aux Harmonies Werckmeister, ses films les plus connus à ce jour, pouvait même s’encombrer de quelque soupçon, d’un scepticisme (n’y avait-il pas un peu de posture à proclamer sans nuance sa totale compréhension de ce cinéma ?).

Si L’Homme de Londres ne détonne donc aucunement, en regard de ces autres films, force est de reconnaître que le motif de notre amour se distingue cette fois sans trop de mystère : Béla Tarr, plus que l’intrigue policière, cherche ici à mettre en lumière la dimension profondément « humaniste » du récit de Simenon. Plus d’une fois, Maloin semble, face à sa femme (Tilda Swinton) et sa fille, qui le ramènent de jour en jour, par leur acceptation silencieuse de leur condition, à son inaptitude à faire leur bonheur, au bord de l’explosion, laissant craindre à leur endroit un soudain accès de violence. C’est pourtant ailleurs, hors champ, que ce dernier sera confronté à l’impossible esquive du geste fatal.

La beauté du film reposerait en définitive sur cette proximité discrète mais permanente du cinéaste avec ses personnages, cette pure intelligence de mise en scène n’interdisant jamais le partage du regard de Maloin, comme l’expliquait à sa sortie en salle Nicolas Debarle dans sa critique. Ici encore, une affaire d’hommes et de dieux. De résistance.

Bonus

Un making of de 26 minutes, donnant la parole au cinéaste et à ses deux acteurs principaux, Miroslav Krobot et Tilda Swinton, autour notamment de la possibilité de jouer avec un partenaire parlant une autre langue.

Bande-annonce

+ En cadeau la version Livre de poche du roman de Georges Simenon

                                           

                                                                                                                    


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