Les Trois Singes

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En 2006, il arrivait à Cannes avec un chef-d´oeuvre, « Les Climats », et repartait injustement bredouille ; aujourd´hui, il revient avec un grand film et le prix cannois de la Mise en Scène.

Un homme politique important renverse accidentellement quelqu’un, une nuit, sur une sombre petite route de campagne. Une autre voiture arrive, manque d’écraser le corps une seconde fois, s’arrête, tergiverse, et repart finalement sans rien faire, sous les yeux affolés du politicien dissimulé dans l’obscurité. Cette séquence, la toute première des Trois Singes, pourrait à elle seule résumer tout le bien que Nuri Bilge Ceylan pense de ce monde. Mais continuons, car il y a plus. Les élections approchant, l’homme politique appelle son chauffeur, bien au chaud dans son lit aux côtés de sa femme (et on voit bien qu’il lui en coûte, de sortir de ce lit accueillant !), pour lui demander d’endosser le crime contre une grosse somme d’argent – à savoir la somme qui pourrait les tirer d’affaire quelques temps et permettre à leur fils, jeune alité volontaire déjà fatigué de vivre, de démarrer dans le monde des actifs. Le chauffeur accepte, va en prison, et enclenche, sans s’en douter, un engrenage sans fin qui n’aura de cesse, tout au long du film et ce jusqu’à cette conclusion malheureuse, sorte de reproduction d’une même erreur (quel pessimisme chez Ceylan, et en même temps que de vérité), de souligner la bassesse humaine – en somme les défauts, les failles, les faiblesses de l’Homme, ces fragilités qui font de l’humain un humain.

« Je me suis longtemps senti inadapté à ce monde. L’art, d’abord avec la photographie et maintenant le cinéma, m’a appris à rationaliser cette solitude, à lui donner un sens », confiait Ceylan à Alexis Campion pour le JDD il y a un an maintenant (14/01/2007). L’homme, qui se présente comme mélancolique et névrosé, s’intéresse à l’humain, à sa complexité, à ce qu’il ne comprend pas. Le style visuel dans lequel il baigne les Trois Singes traduit certes sa conception du monde, mais c’est aussi le résultat d’une recherche esthétique qu’il mène depuis longtemps, et qu’il emploie aujourd’hui pour raconter l’histoire de cette famille un peu perdue, en équilibre au-dessus du vide, isolée, coupée du monde, tendue vers la vacuité de l’existence humaine.
Sans être aussi convaincant qu’avec Les Climats, Ceylan use et abuse des moyens de la mise en scène pour raconter son cauchemar existentiel, une histoire sur les rapports humains, sur les rapports de l’humain avec la société tout court, et l’existence en général. L’image, extrêmement stylisée (sacré tournant après Les Climats), illustre une situation désagréable, sombre, contrastée, comme cette chaleur moite qui, dans le film, plane sur les corps et leus empêche de trouver la paix.

 

  

On ne sort pas indemne de ce film qui distille une sorte d’angoisse étrange et inquiétante, vague. On en revient même un peu perturbé, dans le flou, sans savoir ce que l’on a vécu. Pourtant, si Les Trois Singes est un film déconcertant par bien des aspects, nous voilà face à une oeuvre excitante et passionnante, qui mélange film noir américain et mélodrame turc. Le résultat est assez troublant. Mais très beau.

Non, il n’y rien de mieux au cinéma en ce moment : avant toute chose, allez voir Les Trois Singes. Et regardez Les Climats si vous ne l’avez pas encore vu.

Titre original : Uç Maymun

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Durée : 109 mn


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