Les Trois lumières

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« Les Trois lumières » composent une parabole métaphysique qui interroge la finitude de l’homme. C’est un hymne à l’amour et à la mort où Eros et Thanatos se réconcilient pour l’éternité au terme d’ une partie de bras de fer dantesque. Magiquement ésotérique en version restaurée.

Un récit fabuleux plein d’intrigues rocambolesques qui empruntent aux contes des mille et une nuits

Les Trois lumières est la première oeuvre muette significative à porter la griffe de Fritz Lang. Avec sa compagne scénariste Théa von Harbou, il échafaude un récit fabuleux, une fresque mythique pleine d’intrigues rocambolesques qui s’affranchit des contraintes d’un continuum spatio-temporel.

Cette songerie philosophique épouse ainsi la forme narrative épisodique des contes des Mille et une nuits enchâssés les uns dans les autres. L’oeuvre puise son inspiration exotique dans le creuset imaginaire des mythes populaires.

La protagoniste, Zobeide (Lil Dagover) dont le nom est un emprunt explicite aux contes des mille et une nuits fait ici directement allusion à la femme du sultan Hanouar-el-Rachid qu’elle abreuve de contes fantasmagoriques.

 

 

Le mythe de la jeune fille et la Mort

A l’issue d’intenses supplications, la jeune fille aimante parvient à pactiser avec la Mort (Bernhardt Goetzke) accablée de lassitude (der müde Tod) pour arracher son bien-aimé à son fatum tragique. Mais son serment, semblable à celui de Faust avec Méphistophélès, est pavé d’obstacles infranchissables qu’elle devra parvenir à surmonter au cours de trois étapes initiatiques symbolisées par trois bougies dont la lueur fugacement tremblotante traduit le souffle éphémère de la vie.

En confrontant la jeune veuve à la fin ultime des choses de ce monde, Lang revisite le leitmotiv romantique de « la jeune fille nubile et la mort » qui préfigure l’éternel combat entre Eros & Thanatos.En proie à la douleur extrême, la jeune femme se languit d’amour pour son défunt fiancé dont elle ne se résout pas à faire le deuil .

Eplorée, elle erre près du mur des lamentations couvert de signes cabalistiques qu’a érigé la Mort et qui oblitère l’horizon.

Dans une vision hallucinatoire lui apparaît la silhouette fantomatique de l’être qu’elle chérit par-delà la mort et qui traverse le mur au milieu d’une cohorte d’esprits métaphorisant les victimes du cataclysme de la Grande Guerre. La présence saisissante et quasi surnaturelle des esprits flotte dans l’atmosphère et pénètre le mur comme autant de passe-murailles livides et blafards.

Ame égarée définitivement inconsolable,la jeune fille finit par trouver asile dans l’antre de l’apothicaire du vieux village allemand encombré de cornues, de philtres et de squelettes dans un bric à brac surréaliste de sorcier moyenâgeux.

Par hasard, son regard s’attarde sur une strophe du « cantique des cantiques »qui fait l’éloge de l’amour vrai. Cette stance lyrique du Roi Salomon porte en elle la force superlative de l’amour et illumine la croyance de la jeune veuve dans le pouvoir triomphant d’Eros qui l’exhorte à retrouver son fiancé dans la mort selon une quête orphique.

Persuadée de la transcendance de l’Amour sur la Mort, la jeune fille se laisse entraîner par elle dans le Saint des Saints, un sanctuaire qui offre la perspective sans limites d’une forêt hérissée de cierges de tailles inégales qui se consument à des stades différents. La Mort personnifiée est un éteignoir qui étouffe les flammes de vies évanescentes.

 

 

Le mythe du juif errant, voyageur solitaire et émissaire de la mort en marche

La Mort insinuante prête à circonvenir autrui est le fil rouge de cette narration à tiroirs. Elle apparaît sous les traits hâves d’un voyageur solitaire, un triste sire, qui reconduit le mythe du juif errant. Sa silhouette  décharnée de haute stature drapée de noir frappe les esprits participant de cet assèchement, cette
dévitalisation, cette ossification de l’existence des humains.

En réglant son compte à l’espace, le promeneur freine la course folle, l’emballement de ce temps chronophage qui suspend son vol. Il est l’alchimiste de l’écoulement du Temps. La Mort, la
mort dans l’âme, lasse de sonner le glas des humains, décide de se retirer dans un village en retrait de la civilisation.

Lang objective cette prégnance de la mort dans la portée hallucinatoire des ornements du décor expressionniste comme il le fera dans Le Testament du docteur Mabuse par les dédoublements spectraux ou l’empreinte d’un décor imaginaire qui matérialise à l’écran les lubies de ses personnages comme ce bureau jonché d’objets de verre d’Hoffmeister subitement insane.

Dans l’auberge de l’Unicorne où fait halte le jeune couple talonné par la Mort qui s’invite aux libations et s’attable avec eux, la coupe enivrante que partage les deux tourtereaux se transforme en une clepsydre dont les deux verres égrènent le temps désormais compté du fiancé que la Mort vient chercher ex cathedra.

Brandissant son bâton de pèlerin comme un sceptre funeste, l’étranger qui personnifie la mort en marche, cette « grande faucheuse »,décide de « mettre sac à terre’ » et d’élire domicile dans cette contrée reculée de l’Allemagne.

Comme Ahasverus,le juif errant de la légende, émissaire de la mort, il acquiert le lopin de terre qui jouxte le cimetière communal après avoir été l’exécuteur zélé des basses oeuvres de l’arbitre suprême, son ordonnateur sur terre. Ses pièces d’or auront raison de la réserve des dignitaires du village. Après avoir délié les bourses, l’or délie les langues tandis que l’étranger ne lasse pas de faire jaser et d’entretenir la rumeur publique.

 

 

Tempus fugit

Lang étire la temporalité de son film pour différer les malédictions dont la mort est porteuse dans son sillage. Il transporte son héroïne dans le Bagdad d’un Proche-Orient déja belligérant qui traque l’impie que représente le Franc, la Venise de la Renaissance des Borgia et la Chine impériale aux raffinements de cruauté sensuelle. Il rebat les cartes du temps comme dans le flashback inaugural où la Mort reprend sa traque macabre et jette par hasard son dévolu sur ce couple qui flirte de manière insouciante.

Les personnages sont piégés par l’architectonie vertigineuse des décors comme ces escaliers monumentaux qui ne mènent nulle part et ne sont là que pour repousser les limites d’un décor expressionniste en trompe l’oeil.

C’est dans ces films qui recréent l’imagerie du conte de fées ou de la légende, ces films qui montrent la magie de l’ineffable et les manipulations diaboliques pour y parvenir que l’intrigue purement symbolique prend corps dans une totale abstraction. Comme dans cette scène où la Mort en mouchant une chandelle éteint un espoir par le seul subterfuge de la magie incantatoire.

Les Trois Lumières brouillent les temporalités pour tenter de briser cette dictature de l’écoulement inexorable du temps qui passe et rompre ainsi avec sa linéarité symbolisée par l’égrènement du sablier du temps ou l’avancement des aiguilles du cadran de l’horloge. Tempus fugit.

Distributeur : Films sans frontières

Titre original : Der müde Tod

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Durée : 98 mn


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