Les super-héros des comic books sur grand écran

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Retour sur une décennie marquée par les super-héros : de l’autre côté du masque…

Batman, Spiderman, Wolverine, Iron Man…  Si chacun de ces super-héros acquiert et développe ses propres super pouvoirs, ils ont tous un point commun : ce sont des êtres torturés, parfois à la limite de la rupture et au bord du renoncement. Devenir un super-héros n’est pas une sinécure, mais plutôt le fruit d’un apprentissage et d’une forme d’acceptation de soi. Et c’est bien dans la narration de ce parcours initiatique et cathartique que réside toute la réussite des films de comics.

On découvre alors derrière le masque des super-héros toutes les angoisses qui les rongent et les transforment, de la perte d’eux-mêmes à la remise en cause du fondement même de leur existence. Ainsi de Tony Stark qui, avant de devenir Iron Man, était un homme arrogant et superficiel. Son anéantissement physique et la précarité de sa nouvelle existence (il doit revêtir son armure de métal pour rester en vie) prennent l’apparence d’une révélation qui le poussera à devenir un homme meilleur. A deux doigts de perdre la vie, il gagne une dignité et une nouvelle raison de vivre : combattre le crime.


 

L’exemple d’Iron Man est frappant : le grand mérite des films de comics des années 2000 est de revenir à l’essence même de leurs personnages et de tirer de leurs affects toute la dramaturgie nécessaire au cinéma. Qu’ils doivent leurs pouvoirs à une erreur scientifique, à des tests génétiques, à des entités supérieures qui les ont créés (Hellboy), ou à leur volonté pure de passer aux yeux des autres pour un surhomme en développant leur force physique comme Batman, tous sont confrontés au même conflit interne : qui et que sont-ils ? Mi-bêtes, mi-hommes, il leur est toujours difficile de s’accepter comme n’étant ni complètement l’un, ni totalement l’autre. Pourtant, peut-être devrions-nous envisager cette problématique d’une manière tout autre : cette image de super-héros n’est-elle pas au contraire le moyen pour eux de se forger une identité ? Leur construction ne passe-t-elle pas par l’image que leur renvoie leur condition de super-héros ? Et finalement, que cherchent-ils à prouver et à se prouver ? Quelle est la finalité de leur voyage initiatique ? Que cache donc leur masque de super-héros ? Des hommes, des bêtes… ou des demi-dieux ?

Identité double, identité trouble

Toujours ou presque, la première étape de leur parcours est marquée par une crise identitaire et existentielle. Bruce Wayne passe la plupart de son temps dans Batman Begins à faire le deuil de ses parents. Tony Stark perd brusquement sa bonhomie quand, triste ironie, il est sur le point de succomber aux armes qu’il a lui-même confectionnées. Peter Parker au début de la saga des Spiderman nous est présenté comme un adolescent paumé, « nobody », dont la seule raison d’être consiste à épier les faits et gestes d’une voisine dont il est éperdument amoureux mais qui ne semble même pas avoir connaissance de son existence. Bref, devenir un super-héros passe tout d’abord par la reconstruction d’une identité et d’une raison d’exister.

La figure symbolique, le catalyseur métaphorique de cette reconstruction identitaire, semble être le masque. Vengeur masqué, identité recouvrée ? Belle association d’idées, ambiguë mais non dénuée de sens. Spiderman n’est que Peter Parker, cet humble journaliste-reporter ; Batman est Bruce Wayne, héritier d’un riche empire certes, mais égaré par son désir de vengeance jusqu’à ce qu’il devienne l’homme chauve-souris (Batman Begins) ; les Watchmen sont des gens ordinaires également, sauf lorsqu’ils se masquent et trouvent alors un but à leur existence en devenant justiciers. Sous leurs apparences de super-héros, les personnages de comic books sont en réalité terriblement fragiles.

C’est leur transformation en héros masqués ou en monstres (hormis Hellboy qui ne peut changer d’apparence) qui leur donne confiance en eux. Ce masque, ce costume qu’ils portent, cette nouvelle chair (Hulk, La Chose…), sont un moyen pour eux de véritablement rentrer en contact avec autrui, d’être reconnus par la société, et ainsi d’affirmer leur identité dans le monde. A l’image de l’acteur des théâtres grecs, le super-héros emprunte un masque pour s’exprimer et se faire entendre par la société. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le substantif « personne » a une origine étrusque qui signifie « masque de théâtre ». Leur personnage est donc un médium de communication et, leur costume, l’habit qu’ils revêtent pour sortir… Le sigle de la chauve-souris que les forces de la police de Gotham City éclairent vers le ciel en est d’ailleurs un bon exemple, devenu moyen d’entrer en communication avec Batman.
Le masque est donc le moyen pour le super-héros de se découvrir (à la fois de montrer qui il est aux autres et de se construire une identité), mais aussi de se couvrir, de se dissimuler. Son masque est ce qui lui permet de maintenir cachée la part de son identité (et les troubles qui l’accompagnent) qu’il ne souhaite pas exposer au regard des autres. Revers de la médaille : cela lui attire les foudres de la société qui ne supporte pas, en même temps qu’elle admire ses actes, de ne pas savoir qui se cache réellement derrière ce costume. Personnages médiatiques qui font souvent la une des journaux, les super-héros ont une identité ambivalente faisant d’eux des êtres à la fois adorés et craints, mais aussi haïs, humanisés et déshumanisés tout à la fois.

De l’autre côté du masque, le reflet de notre propre condition

Dr Jekyll et Mr Hyde (de Stevenson) pour créer son monstre vert (qui était gris à l’origine !). Les actes de La Chose et de celle du scientifique, qui forment en fait une même entité, sont différents selon le corps dans lequel ils sont enfermés. Est-ce l’apparence extérieure ou l’intériorité qui confère à un être son humanité ?

La thématique de l’identité, qui résonne forcément en chacun et éveille des questionnements essentiels, est ainsi déclinée à l’infini ou presque dans une bonne majorité des films de comics. Se dévoilent alors des mécanismes parfois grossiers, mais quelques fois aussi assez subtils. La double-identité de chaque super-héros ressort clairement. Celle des « super-méchants » également : dans les trois opus de Spiderman, les méchants avaient leur propre identité avant de sombrer dans le mal. Leur personnalité paraît se dédoubler, avant que leur côté sombre et maléfique ne prenne le pas. Mais il semble bien que le thème du double soit aussi abordé à travers la relation qu’entretiennent certains super-héros avec les méchants qu’ils combattent. Dans Iron Man, Stark décide d’affronter le mal qu’il a lui-même engendré, puisqu’il était un fabriquant d’armes puissant. L’ennemi donc est endogène et même plus : c’est une partie de lui-même que notre héros combat. Façon comme une autre de se reconstruire et de se racheter, au-delà d’une dignité et d’une morale, une identité forte et équilibrée. Dans Spiderman 3, Parker se bat contre le Bouffon vert, qui n’est autre que son meilleur ami. Une lutte frappée du sceau de la gémellité, qui cependant n’atteint probablement pas le niveau d’intérêt et d’intensité de celle entre Batman et Double Face… Harvey Dent, avant de devenir le terrible Double Face, entretient une relation de rivalité avec à la fois Bruce Wayne (rivalité amoureuse : tous deux sont épris de la belle héroïne) et avec Batman (rivalité pour le titre de Justicier suprême de Gotham). Puis l’image du rival s’efface progressivement et Harvey Dent se mue en double de Bruce Wayne/Batman. Tous deux se battent pour les mêmes idées de justice et de paix, tous deux luttent pour le salut de Gotham. L’un le fait masqué, l’autre démasqué. Double Face, Batman/Bruce Wayne : chacun est double en lui-même et le double de l’autre. La dernière dimension de la relation qui unit les personnages, et sur laquelle nous reviendrons plus tard, est celle de l’image idéalisée : Batman et Bruce Wayne n’ont-ils pas tous deux tendance à idéaliser l’image qu’ils se font d’Harvey Dent, « l’homme qu’il faut pour Gotham », le véritable sauveur de la ville, celui qui relèguera Batman dans l’ombre qu’il n’aurait peut-être jamais dû quitter ? Dent renvoie probablement à Wayne l’image de ce qu’il aurait aimé être. Curieux mimétisme, mais finalement bien précaire : Harvey Dent devient Double Face, un personnage en lui-même génial, dont le seul nom peut faire tressaillir tous nos super-héros : bon ou méchant, bien ou mal, homme ou animal, il s’en faut parfois de peu de choses… Mais à la fragilité initiale des destinées et des affects se substituera un parcours initiatique aux relents immuables : nos super-héros se reconstruisent, s’acceptent, et choisissent leur manière d’exister. Et, dans bien des cas, la voie qu’ils décident de prendre est hautement morale, participant d’un mouvement d’élévation de l’être et de l’âme qui les conduit au-delà du statut d’homme.

De l’homme naîtra le demi-dieu, de l’abyme naîtra le mythe

Inlassablement, les adaptations de comic books au cinéma nous amènent toujours à la même évidence, sans prendre la peine de ménager de surprise (et sans non plus qu’on en réclame !) : nos super-héros finissent finalement par être acceptés, par être reconnus comme nos semblables, comme ayant une part d’humanité en eux car ils nous ont finalement sauvés. Mais sauvés de quoi exactement ? Ou plutôt de qui, à part de nous-mêmes ? La motivation suprême des super-héros n’est-elle pas de nous sauver de nos travers, de nos perversités et de nos vilénies ? In fine, nous ne savons plus très bien qui d’eux ou de nous est le plus humain…

Et c’est bien ici que s’opère le décrochage : le super-héros, après avoir lui-même expérimenté toute la fragilité de l’existence humaine, semble vouloir nous sauver de nos propres maux et s’élève par là même au-delà de la condition de simple humain. Il acquiert alors une dimension hautement morale, résumée dans Spiderman par un « with great power comes great responsability », certes quelque peu pathétique, mais qui résume bien le parcours effectué par Parker : l’adolescent se construit en tant qu’adulte en apprenant à utiliser ses pouvoirs à des fins moralement acceptables. Spiderman 3 est à ce titre peut-être l’épisode le plus réussi, puisqu’il met sous tension le rapport caché et refoulé qu’entretient le héros avec sa face noire et vengeresse. Spiderman viendra finalement à bout de sa « seconde » personnalité.


 

Cette tension intérieure qui anime la plupart des super-héros se transpose ensuite, quand ils sont des héros « publics », à une échelle supérieure. Batman et Spiderman sont tour à tour haïs car craints, puis acclamés par la foule en délire de Gotham City et de New York qui les remercie de les avoir sauvés de la pègre et des vilains. En fait, osons le mot, les super-héros auraient presque un statut précaire ! Un jour travailleurs félicités pour leurs performances, le lendemain déchus pour n’être pas à la hauteur des tâches qui leur sont administrées par la ville ou tout simplement parce que l’on n’a plus besoin de leur présence. Nos super-héros goûteraient-ils eux aussi à la fragilité de l’emploi ?

Et c’est justement au moment où les héros parviennent à dépasser cette double tension, l’une intérieure, l’autre extérieure, au moment où les héros font le choix de se poser en héros, qu’ils acquièrent une dimension mythique parachevant leur parcours initiatique et identitaire. « Je suis Spiderman », affirme finalement Parker à la fin du film. Batman quant à lui, choisit de revêtir le costume du « chevalier noir » pour laisser à Dent celui du « chevalier blanc ». Un sacrifice d’autant plus noble que personne à part l’inspecteur Gordon ne soupçonnera.
Des pouvoirs supernaturels aux origines parfois transcendantales, l’élévation à une dimension morale après un périple initiatique et cathartique semé d’embuches, un choix d’existence guidé par le sacrifice : tous ces éléments renvoient les super-héros à l’image de figures mythiques. S’ils fascinent tant notre imaginaire collectif, c’est parce que leur construction en tant que super-héros, leur acceptation d’eux-mêmes, de leur condition de damnés, de « chevaliers noirs », leur permet d’accéder à un rang supérieur à celui d’humain.

Le questionnement intérieur de Wayne, Stark et Parker les conduit à cette conclusion étrange, angoissante et définitive : ce ne sont plus des hommes, ils sont respectivement Batman, Iron Man et Spiderman. Leur choix d’existence, leur choix d’assumer le statut de super-héros : voilà comment ils se confèrent eux-mêmes un rôle de « sauveur messianique », auquel ils ne sauraient plus se soustraire. Les voici affublés d’un poids à l’origine inconnue, mystérieuse et implacablement coercitif. Il y a d’un côté la peur du néant et de la mort : Stark l’a frôlée, Parker semblait ne pas réellement exister avant de devenir Spiderman. Dans Batman, c’est bien le Joker qui renvoie à l’angoisse de l’être qui n’est pas : il n’a ni nom, ni histoire, ni empreinte digitale. Bref, il n’a pas d’identité, il n’est rien, il n’existe que par rapport à Batman et jamais par lui-même. Il est assez remarquable que notre héros lutte finalement à la fois contre le Joker et contre Double Face, ce dernier qui était précisément l’image idéalisée de ce que Wayne/Batman aurait aimé être… Comme si les super-héros, entre peur du néant et quête de l’absolu, devaient se construire. Ou plutôt se reconstruire, physiquement et surtout moralement, pour ensuite renaître en mythes.


 

La fin de The Dark Night est évocatrice. On pense au mythe de Sisyphe, on imagine le héros prisonnier de chaînes dont il ne pourra plus jamais se défaire, puisqu’il en a décidé ainsi. Le sacrifice des super-héros semble les condamner en même temps qu’il les élève au rang de demi-dieux. Reste alors une ultime question : qui pourra donc les délivrer d’eux-mêmes ?


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