Les Hommes libres

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Un récit sobre et nuancé qui pèche par timidité et par un traitement trop peu audacieux au regard du sujet abordé.

Après son premier long métrage Le Grand voyage en 2004, le second essai du réalisateur Ismaël Ferroukhi, par ailleurs scénariste pour Cédric Kahn, présente les symptômes récurrents du cinéma français qui puise son inspiration dans les faits historiques réels : honnête dans sa démarche, consciencieux dans son travail de documentation et utile dans sa volonté d’éclairer un pan méconnu de notre histoire, mais malheureusement dans l’incapacité chronique de transcender son sujet ou d’y apporter une plus-value artistique. Dans Les Hommes libres, le metteur en scène lève le voile sur un épisode ignoré de la Seconde Guerre mondiale en évoquant la vie des immigrés nord-africains dans le Paris occupé et le rôle de la Grande Mosquée, qui, sous l’impulsion de son recteur, hébergea des résistants et contribua à sauver des Juifs de la déportation grâce à des faux certificats d’identité musulmane.
 
Parti d’un article du Nouvel Observateur, Ferroukhi invente le personnage de Younes (le multi-césarisé Tahar Rahim, de retour dans une production française), un jeune émigré algérien dans ce Paris de 1942 qui se fait de l’argent grâce au marché noir et souhaite retourner au pays. Interpellé par la police, il accepte d’abord de collaborer avec elle pour poursuivre son trafic sans être inquiété. Il se voit alors confier la mission d’espionner notamment le recteur de la Mosquée de Paris, Si Kaddour Ben Ghabrit (Michael Lonsdale, aussi convaincant que dans un monastère), soupçonné par les sbires de Vichy de délivrer des faux-papiers. Au fil des rencontres, avec le recteur mais aussi avec une jeune femme mystérieuse qui va et vient dans la mosquée (Lubna Azabal), Younes va peu à peu abandonner son individualisme aveugle pour une prise de conscience morale et politique qui le remet sur le droit chemin. C’est surtout le rapprochement avec Salim – artiste porteur de la tradition judéo-musulmane et chanteur de musique arabo-andalouse à la voix enchanteresse – et leur amitié grandissante qui scellera définitivement son engagement dans l’autre camp.
Ce personnage charnière, joliment dessiné (Salim Halali, de son vrai nom Simon, ayant bel et bien existé), symbolise pleinement le pont entre les communautés musulmane et juive. Choisir de montrer cette solidarité à l’oeuvre pendant cette période trouble de l’Histoire est d’ailleurs tout sauf anodin dans un contexte actuel peu enclin aux rapprochements communautaires. À travers la voix de Salim (en l’occurrence celle du chanteur marocain Pinhas Cohen double l’acteur Mahmoud Shalaby), le réalisateur agrémente son récit de plusieurs séquences musicales qui s’avèrent, certes, préjudiciables au rythme du film, mais essentielles pour tisser un lien étroit entre la liberté de la création artistique et l’esprit de résistance.
 
Ismaël Ferroukhi échappe aussi au manichéisme facile et réducteur en suggérant l’ambivalence des protagonistes principaux, Ben Ghabrit en tête. Le recteur incarne en effet la complexité de l’époque, proche à la fois des autorités pétainistes et du Sultan du Maroc. Coincé dans cet exercice d’équilibriste permanent, il fréquente des officiers allemands tout en risquant sa vie pour sauver des hommes et des femmes en danger. Seul personnage de fiction, Younes n’en est pas moins très représentatif de cette ambiguïté. Loin d’être un saint, il tâtonne, hésite, bifurque, avant de lentement se métamorphoser en combattant de la liberté. Et si le réalisateur a le mérite de présenter le point de vue des Maghrébins résistants, il n’en oublie pas pour autant d’évoquer la minorité favorable à la collaboration.
Mais à l’image de ces hommes invisibles, de ces héros de l’ombre contraints à la plus grande discrétion, Ferroukhi s’efface derrière un sujet qui semble trop lourd à porter et délaisse les ressorts dramatiques de sa narration, suscitant même un ennui poli dans la seconde partie du film. Les intentions du réalisateur sont louables et on ne peut lui contester au moins une vertu, celle de traiter ce thème fort avec le recul nécessaire et sans débordement lacrymal aucun. Pourtant, si on lui sait gré de cette pudeur, le film s’en tient presque exclusivement à un réalisme prudent, ne parvenant jamais à produire de l’émotion. Dommage…
 
 

Titre original : Les Hommes libres

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Durée : 109 mn


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