Les frères Coen sont toujours là !

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De retour au polar avec le brillant No country for old men, les frères Coen ont marqué de leur empreinte vingt-cinq ans de cinéma américain. L´occasion d´effectuer un bilan provisoire d´une oeuvre tout simplement incontournable.

L’essence du cinéma des frères Coen (Joel, le grand frère, Ethan, le cadet), peut aucun doute être condensée dans une seule scène, issue de leur film le plus acclamé, Fargo (1996). On y voit la placide femme flic interprétée par Frances McDormand découvrir, alors que le dénouement approche, le tueur Gaear (Peter Stormare) passer le cadavre de son acolyte Carl (Steve Buscemi) dans un broyeur à bois. Bien qu’il ne soit pas armé, Gaear s’enfuit et se fait tirer dessus. Alors que notre héroïne se pose des questions sur les raisons de toute cette violence, Gaear n’a pour elle qu’un regard mystérieux.

Suspense, violence, humour à froid, décalage assumé, regard aussi attendri qu’interrogatif sur le monde moderne : les films des frères Coen contiennent tout cette pallette d’ingrédients qui s’entrechoquent durant ces minutes passées à la postérité.

Un fil ténu, entre cinéma populaire et film d’auteur exigeant

Depuis Sang pour sang (1985), essai inaugural qualifié dès sa sortie de coup de maître, les deux hommes n’ont cessé de déjouer les attentes, de surprendre à la fois les critiques et le public, tout en signant des oeuvres essentielles, par leur maîtrise de la mise en scène et de l’art narratif. Indécrottables cinéphiles, ils se tiennent sur un mince fil, à mi-chemin entre le film de genre populaire et exigeant, et le film d’auteur réflexif propice aux récompenses cannoise et hollywoodiennes.

Les batailles s’enchaînent chez leurs admirateurs : quelle frontière sépare un long-métrage commercial d’une nouvelle perle « coenienne » ? Intolérable cruauté (2003) est-il un film mineur, ou une brillante réactualisation des screwball comedies interprétées par Cary Grant ? The Barber (2001) est-il un simple exercice de style sur le film noir, ou un polar unique au noir et blanc renversant ? La question se posera sans doute aussi avec No country for old men, adaptation aride mais fascinante du romancier Cormac McCarthy, qui chasse sur les terres texannes de Trois enterrements (ce n’est pas un hasard si Tommy Lee Jones y joue à nouveau un shérif), après avoir tâté de la neige du Minnessota dans Fargo.

L’humour, toujours

Bien qu’il soit pour la première fois adapté d’une oeuvre littéraire, No country for old men ne diffère pas des précédents films des Coen : le héros est un outsider dépassé par les événements, coincé dans une situation inextricable. Comme souvent, l’élément déclencheur est l’argent : c’est lui qui amène les personnages de Sang pour sang, Fargo, The big Lebowski (1998), The Barber ou bien Ladykillers (2004) au bord du gouffre.

L’humour est bien sûr présent. Après tout, le rire n’est-il pas la politesse du désespoir ? Servi froid ou bien noir, il est toujours ironique, mais bien qu’on les ait souvent accusés d’être cyniques, les frères Coen ont toujours une pensée attendrie pour leurs héros et héroïnes. Qu’ils soient losers jusqu’au bout des ongles (Nicolas Cage et sa mine ahurie dans Arizona Junior (1987), Jeff Bridges en peignoir et caleçon dans The Big Lebowski), des « innocents » pleins de ressources (Tim Robbins dans Le Grand saut (1994), Irma P.Hall dans Ladykillers), ou bien des manipulateurs à leur tour manipulés (le plus bel exemple reste Gabriel Byrne dans Miller’s Crossing), les frangins se mettent constamment à hauteur d’homme pour suivre leur parcours, lequel ne se termine jamais sur une note manichéenne.

L’intégrité au service de l’histoire

A l’époque de la sortie du sombre et complexe Miller’s Crossing (1991) et de leur kafkaien Barton Fink (1991), les critiques s’avouaient surpris par le changement de ton opéré par rapport à leur premiers films, surtout l’azimuté Arizona Junior. Bien que celui-ci doive beaucoup à leur amitié avec un authentique kamikaze de la caméra, Sam Raimi, la démarche reste logique pour les deux frères : ils s’adaptent à l’histoire qu’ils souhaitent mettre en scène. Contrairement à un Brian de Palma ou un John Carpenter, les Coen ne sont pas des forcenés du style, des obsédés de l’esthétisme. Du talent pour la mise en scène, ils en ont plus que de raison, mais elle ne s’exprime jamais au détriment de l’histoire et de ses protagonistes. Pas de « patte » visuelle chez eux, les raisons de s’émerveiller sur leurs films sont indéniablement aussi différentes que leurs long-métrages eux-mêmes. Sans doute est-ce la raison pour laquelle de si nombreux titres de leur filmographie sont aujourd’hui cultes, et ce dans des genres aussi différents que le film noir, la comédie loufoque et le drame d’époque. Eclectisme, originalité, indépendance, une intégrité jamais démentie : en douze films, les Coen ont déjà derrière eux une des carrières les plus incroyablement addictives qui soient. L’une des plus incontournables.


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