Les Ambitieux

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Lui, Julien, jeune écrivain qui décide sur un coup de tête de quitter sa province natale pour le > Paris, celui des plus fols espoirs et de l´ambition. Son rêve ? Etre édité. Mais en a-t-il le talent ? Elle, Judith Zahn, éditrice à l´ego surdimensionné, au caractère fort, probablement parvenue à ses fins par […]

Lui, Julien, jeune écrivain qui décide sur un coup de tête de quitter sa province natale pour le << grand >> Paris, celui des plus fols espoirs et de l´ambition. Son rêve ? Etre édité. Mais en a-t-il le talent ? Elle, Judith Zahn, éditrice à l´ego surdimensionné, au caractère fort, probablement parvenue à ses fins par des moyens douteux, et aimant particulièrement dominer son sujet, quel qu´il soit (les humains n´y échappent pas).

La romance entre les deux protagonistes prend vite forme. Les clichés inhérents au genre ne sont pas évités, et la structure reste conventionnelle, de la mise en place du jeu de séduction au dénouement (vu et revu). Toutefois, l´intrigue est prenante, rythmée et soutenue par des dialogues intelligents et percutants, les deux personnages principaux étant très bien ciselés : K. Viard joue le rôle de la femme dévoreuse d´hommes, une égocentrique qui construit autour d´elle une carapace qu´elle croit indestructible, mais qui l´empêche d´aimer réellement. Eric Caravaca (pas très convaincant au passage) prend le costume de << l´idéaliste-sauveur >>, celui qui apprend à Viard à s´ouvrir aux autres (à travers l´acceptation de son passé) et qui va donner sans être certain de recevoir en retour. Mais n´est-il pas lui aussi, au fond, un peu arriviste et désespérément ambitieux, quitte à être manipulateur ? La confrontation entre ces deux personnalités diamétralement opposées est directe ; s´opère alors un jeu d´attraction et de répulsion assez classique, mais rendu efficace par la cohérence générale des portraits dressés.

Malgré ces qualités, Les Ambitieux laisse un profond sentiment de film inachevé. En adoptant résolument un ton léger, Catherine Corsini s´interdit tout traitement de fond de thèmes et de questions qu´elle effleure sans jamais réellement aborder de manière frontale. Situation frustrante : ces thématiques ne manquent pas, et comble du comble, elles sont toujours soulevées avec finesse. Mais à chaque séquence où l´on sent l´intérêt pointer, où l´on espère trouver une véritable matière à réflexion, le ton divertissement pur et comédie sentimentale légère reprend le dessus, comme si la cinéaste refusait de prendre le risque de se tromper. Seul le thème des coups fourrés et de la trahison, nécessaires pour arriver à ses fins, pour assouvir son ambition, est bien cerné. Toutes les autres pistes de réflexion restent à l´état embryonnaire.

Le personnage peut-être le plus intéressant est sûrement Simon, ancien camarade de classe de Julien, clochard qui rêvait autrefois de devenir acteur ; un ambitieux désillusionné, en quelque sorte. Une séquence éclairante nous montre que Simon est le reflet de la propre peur qui anime Julien : et s´il ne parvenait pas à devenir un écrivain ? Deviendrait-il lui aussi sans domicile fixe ? On peut penser que sa compassion pour Simon relève en fait du réflexe de survie devant la personnification, le miroir de ses doutes. Mais il est vraiment très dommage que ce personnage secondaire ne soit pas plus développé, quitte à focaliser l´attention sur quelques séquences. Ici, il n´est qu´un objet au service de l´intrigue.

Second thème majeur, celui du monde de l´édition. Il constitue en grande partie le canevas de l´histoire, mais on sent amorcée la critique d´une société hiérarchisée selon des principes hypocrites, vantant par exemple le mérite alors que tout n´est que lutte d´influence et calculs arrivistes. Mais le propos n´est pas tenu assez fermement, il se perd dans l´amourette qui nous est contée. On citera aussi, au titre des déceptions, la figure à peine esquissée de l´artiste torturé et de son rapport au travail de création (syndrome de la page blanche). L´idée de ne pas connaître la valeur véritable des romans de Julien était également intéressante, car cette ellipse est la concrétisation des principes de fonctionnement branlants du monde de l´édition, et peut-être même de la société : un livre est publié non pas parce qu´il est bon, mais parce que l´auteur a été << pistonné >> ; le roman est un succès non grâce à ses qualités intrinsèques mais grâce à des campagnes de communication marquées par les aléas du marketing. Mais on est ici dans le domaine de l´extrapolation totale, or il aurait été intéressant que Corsini nous donne plus d´indices pour nous conforter dans nos certitudes. Car l´on peut très bien penser que cette ellipse relève plus du sacrifice : par manque de temps, pour ne pas lasser le spectateur, la réalisatrice n´accorde de réelle importance qu´au développement de la liaison amoureuse.

Les Ambitieux fait donc malheureusement partie de ces films que l´on aurait aimé voir durer un peu plus, l´histoire de quelques séquences qui apporteraient un intérêt autre que la simple intrigue sentimentale, efficace mais sans surprise aucune. On aurait apprécié que le destin des protagonistes s´ancre dans un regard plus profond sur les thèmes abordés. Que le ton, entre comédie romantique et étude de moeurs, soit plus équilibré. Bref, que Catherine Corsini soit, elle aussi, plus ambitieuse.

Titre original : Les Ambitieux

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Durée : 90 mn


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