Le Pont des Espions

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Tom Hanks au pays des Soviets.

Rien à faire. Malgré les déceptions, qu’elles soient minimes (Le Monde Perdu, 1997) ou gigantesques (Cheval de guerre, 2011, qu’à l’heure actuelle nous ne comprenons toujours pas), la sortie du dernier Spielberg nous met dans le même état de fébrilité qu’un gamin hyperactif un soir de réveillon de Noël. Trois ans après Lincoln, entre les annonces du report Robocopalypse et du prochain Ready Player One, c’est donc Le pont des Espions qui sort en salles cette année. Inspiré de faits réels, un projet avait déjà circulé à Hollywood dans les années 60 avant d’être enterrée par la MGM pour des raisons politiques puis repris cinquante ans plus tard par Matt Charman et les frères Coen.

En pleine Guerre Froide, les Américains voient des espions soviétiques partout. Le 19 juin 1953, Ethel et Julius Rosenberg, sont jugés coupables d’espionnage et exécutés ; quelques années plus tard, c’est Rudolf Abel qui encourt à son tour la chaise électrique pour le même chef d’accusation. Méprisé par l’opinion publique, et l’institution judicaire, sa réputation contamine celle jusqu’ici sans tache de son avocat James Donovan. C’est pourtant lui qui sera ensuite choisi pour négocier un échange entre son client et Francis Gary Powers, pilote dont l’avion espion s’est fait abattre au-dessus de l’Union Soviétique. Donovan est dépêché à Berlin Est par la CIA, officieusement, en free-lance officiellement.
 

Il suffit d’un plan d’ouverture, quasi programmatique, pour rappeler à tous ceux qui auraient pu l’oublier que Spielberg est un véritable metteur en scène. Un homme, Rudolf Abel, pris entre l’autoportrait qu’il réalise et son miroir : un homme et deux interprétations possibles. Soit le propre de l’espion. Mais aussi d’un pays. A première vue, grande est la tentation de remettre la légendaire naïveté de Spielberg sur la table, notamment lors de la scène dans laquelle Tom Hanks, tel M. Smith au Sénat (Frank Capra, 1940), se rend devant la Cour Suprême pour chanter la tolérance inhérente à la sacro-sainte Constitution. Qu’un plan en forme d’oxymore sur une cour martiale soviétique vient encore valoriser. Mais ce postulat de départ thèse/antithèse, tranché voire manichéen, est au fond un leurre. Il n’est qu’à voir la façon dont le scénario relègue la famille parfaite de James Donovan, très American way of life, au second plan ou encore la manière dont le père de famille récite le bénédicité pour mieux stopper sa femme dans sa diatribe anti-soviétique. Le classicisme formel, et l’emphase dont il est le pendant apparent (l’oeuvre de Spielberg ayant tendance à se muséifier au fil des années), est tempéré à l’intérieur même du film par les traits d’humour des dialogues écrits par les frères Coen. Leur scénario, fidèle en cela à son plan inaugural, se dirige vers quelque chose plus complexe, ou en tout cas moins univoque pour, en lieu et place du mur infranchissable entre le bien et le mal, préférer l’image du pont et les échanges que cela implique. Si l’esprit des Coen se fait entendre, Le pont des Espions est bien un film de Spielberg, dans lequel nous retrouvons les thèmes chers au réalisateur.

Spielberg a toujours aimé les hommes normaux révélés à eux-mêmes par une situation extraordinaire. Comme Ray Ferrier,  père de famille défaillant sauve sa fille d’une invasion extraterrestre ; comme Indiana Jones, banal professeur de philosophie, découvre le Graal ; James Donovan citoyen américain lambda se trouve soudain propulsé diplomate international. Mais c’est en fait à Oskar Schindler qu’il s’apparente le plus dans sa façon d’utiliser le système pour s’en servir contre lui : la Constitution américaine lui permet de sauver un ennemi, l’absence de couverture diplomatique lui permet de prendre les négociations en main sans en référer à quiconque etc. Autre grand motif spielbergien : celui de la révélation, ce lieu de passage entre la relative insouciance du personnage et sa prise de conscience quant à la gravité de la situation qui va l’amener à prendre ses responsabilités. A ne plus détourner le regard car la caméra le met dos au mur : c’est le travelling compensé de Brody face à l’attaque du requin, le plan serré de Schindler devant la liquidation du ghetto de Varsovie et le gros plan de Donovan face à la réalité du mur de Berlin. Un instant qui teinte toujours les happy end d’une certaine mélancolie.

Devant des enjeux aussi complexes que ceux de la Guerre Froide, la facilité des négociations ne laisse cependant pas d’étonner, comme si tout à coup le film se faisait l’écho de la très étrange nostalgie d’une époque où les conflits étaient plus clairs, et les discussions encore possibles.

Titre original : Bridge of Spies

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Durée : 132 mn


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