Le Parfum : histoire d’un meurtrier (Perfume: the story of a murderer)

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Patrick Suskind, auteur allemand du best-seller olfactif « Le Parfum », traduit en 45 langues et vendus à plus de 15 millions d’exemplaires, n’a jamais voulu céder ses droits d’auteur à quiconque. Pourtant, nombreux sont ceux qui ont rêvé de porter ce chef-d’œuvre à l’écran : de Stanley Kubrick à Martin Scorsese en passant par […]

Patrick Suskind, auteur allemand du best-seller olfactif « Le Parfum », traduit en 45 langues et vendus à plus de 15 millions d’exemplaires, n’a jamais voulu céder ses droits d’auteur à quiconque. Pourtant, nombreux sont ceux qui ont rêvé de porter ce chef-d’œuvre à l’écran : de Stanley Kubrick à Martin Scorsese en passant par Milos Forman. Seul son compatriote Tom Tykwer, réalisateur de Cours Lola, cours, est parvenu à dompter la confiance de l’écrivain, lui-même scénariste, après vingt ans d’âpres persuasions. Il aura fallu deux années de tournage, une centaine de décors, 67 acteurs et 5 200 figurants pour réaliser cette super production européenne. On y retrouve les mêmes ingrédients qui ont fait recette dans son premier film, Cours Lola, cours : plans saccadés, rythme effréné, dialogues travaillés… Une caméra qui s’inscrit dans l’air du temps mais s’appesantit par des longueurs. La multiplication des figures de style, la linéarité narrative, et l’esthétique trop léchée, qui souvent tombe dans l’écueil d’une France clichée, finissent par ternir le tableau. De cette adaptation, l’interrogation des genres surgit alors: le film est-il aussi savoureusement odorant que le livre ? Question qui se murmure sur toutes les lèvres. Mais le problème ne serait-il pas de savoir comment le langage, écrit ou visuel, est à même de faire sentir et ressentir ? Nombreux s’y sont cassés les dents. Tom Tykwer, le nez. L’odorat, trame du film, reste ici un concept sans intuition, vidé, plaqué, mimé d’une manière parfois presque grotesque.

Paris, XVIIIème siècle, tout n’est que puanteur et senteurs répugnantes. A cette époque éclairée des Lumières, l’immondice est paradoxalement à son comble. Jean-Baptiste Grenouille naît en 1744, sous les étales d’un marché, parmi les abats de poissons. De cette venue animale au monde, il acquiert néanmoins un don : un odorat surhumain, qui fera de lui un monstre. De la capitale obscure, aux teintes de Caravage, à Grasse, capitale du parfum, aux couleurs de Van Gogh, ce road-movie olfactif suit ce « nez » extraordinaire. Paradoxe, ou ambivalence de cet anti-héros, doté d’un odorat inouï, il est pourtant privé de toute odeur. De ce manque naît une frustration : son impuissance à séduire les femmes faute de phéromones. Et de cette frustration s’en suit une vengeance implacable: tuer pour capturer le parfum naturel de ces femmes, qu’il ne peut posséder, afin de les éterniser en un philtre d’amour. «Qui maîtrise les odeurs, maîtrise le cœur de l’humanité», se convainc-t-il. Dans cette quête existentielle et obsessionnelle, il met tout en œuvre pour réaliser son dessin funeste: fabriquer la fragrance ultime, extraite de ces douze femmes assassinées, afin d’enivrer tous ceux qui croisent son chemin. Palliation à sa frustration, ce désir de toute puissance le conduit à sa perte.

Respectueux plus qu’audacieux, le regard du cinéaste suit les mots de l’écrivain à la lettre. La caméra de Tom Tykwer, par mimétisme souvent caricatural, s’engouffre jusque dans les narines de Grenouille. Ce regard sous cutané vide le sens olfactif de tout imagination, nous disant quand et comment sentir, sans pourtant rien ressentir. Grâce à des moyens considérables mis à sa disposition par Bernd Eichinger, producteur allemand de La Chute et Le Nom de la rose, Tom Tykwer voit grand – trop grand. Jusqu’à une scène de partouse géante écoeurante, dans laquelle Grenouille soumet le monde grâce à son « parfum » extraordinaire. Le réalisateur fait ainsi de ce meurtrier une sorte de super-héros, dont l’odorat surdéveloppé lui permet d’avoir toujours une longueur d’avance sur ses poursuivants. On ne peut donc y croire, même si les méthodes de distillations et d’effleurages des essences présentent, au moins, un intérêt documentaire.

Cependant, Ben Wishaw, acteur diplômé de la Royal Academy of Dramatic Art, campe avec brio Jean Grenouille, cet assassin au bord du suicide. Ce jeune premier, découvert dans Mauvaise Passe de Michel Blanc, apporte un soupçon à la fois inquiétant et touchant à ce meurtrier monstrueux. D’essence bestiale, Grenouille frôle l’autisme et sombre dans le mutisme. Ben Wishaw joue plus sur la psychologie que sur les mots pour exprimer l’ambivalence de ce serial killer: son corps chétif mais virulent, ses yeux humides mais carnassiers, et ses narines dilatées mais frémissantes, séduisent tant qu’ils inquiètent. Quant à l’accoutumé des Oscars, Dustin Hoffman, il excelle en « maître » Guiseppe Baldini. Entre pitrerie et pitié, il nous émeut d’emblée, sous sa perruque un peu trop poudrée.

Si le livre de Patrick Sukind se respire, le film de Tom Tykwer ne se prise pas toujours. La caméra ne parvenant pas souvent à capter la subtilité des parfums. Parfois suffoquant, par ses plans enchevêtrés et ses longueurs, le film sature l’imagination comme les sens, à travers la voix off.

Titre original : Perfume : The Story of a Murderer

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Durée : 147 mn


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