Le Monde de Charlie est adapté du livre éponyme de Stephen Chbosky (1999), roman épistolaire semi-autobiographique que l’auteur a lui-même transposé à l’écran. Chbosky s’y souvient de son année scolaire 1991-1992, quand il traversait difficilement l’adolescence et tentait de trouver sa place. Un best-seller de littérature pour jeunes adultes, pas trop aseptisé, classé dixième sur la « liste noire » de l’American Library Association (Association des Bibliothèques Américaines) en raison de ses thèmes : sexe, drogue, homosexualité, suicide, entre autres. Il a souvent été, à sa sortie, comparé à L’Attrape-coeurs de J. D. Salinger : on n’ira pas jusque-là, même si l’observation d’une première année de lycée touche souvent juste, dans la manière qu’il a de se placer à hauteur de ses personnages et de leurs petites peines qui, à leur âge, semblent insurmontables. Difficile de se passionner, passé la vingtaine, pour des scènes interminables de jeux de la bouteille ou de beuveries de fin d’année. Plus intéressante, en revanche, est la retranscription d’une époque où le CD faisait son apparition mais où l’on chérissait encore le vinyle et où les compils s’enregistraient sur des cassettes, à offrir à celui ou celle qu’on aimait bien.
Car Le Monde de Charlie, en plus d’être un film sur le passage à l’âge adulte, est un film pop, au rythme quasi musical, scandé par les sons de XTC (Dear God) ou des Cocteau Twins (Pearly Dewdrops’ Drops). Il rappelle qu’au cinéma, tout est plus beau avec le Heroes de Bowie en fond sonore – même une séquence aussi balisée qu’une balade en voiture, de nuit et cheveux au vent, en banlieue de Pittsburgh. C’est, également, un film qui n’a pas peur de jouer la nostalgie, fusse-t-elle d’une époque pas toujours heureuse mais faite d’instants éphémères qui faisaient qu’on se sentait vivre : un baiser volé, une prestation impromptue sur la scène d’un théâtre – beau moment de la prestation live du Rocky Horror Picture Show (Jim Sharman, 1975) devant un écran de cinéma sur lequel est projeté le film. Les ados y disent des choses définitives comme « Là, tout de suite, nous sommes immortels » ou « Dès qu’on a eu 16 ans, on ne savait plus ce que c’était que d’avoir 15 ans ». Le Monde de Charlie est ainsi, par intermittences, vraiment charmant.
C’est dans son versant dramatique qu’il pèche plus souvent, lorsqu’il convoque traumas et culpabilités de l’enfance pour expliquer le mal-être adolescent, à grand renfort de pénibles flashes back finalement évacués par la présence rassurante d’une psychologue en blouse blanche (Joan Cusack, guest star de fin de film). C’est pourtant dans ces blessures venues de loin qu’aurait résidé le vrai intérêt du Monde de Charlie : il aurait fallu les mettre en scène plus finement, en suggérant plus et sans jouer d’un suspense malsain qui ne va pas très bien au film. Le plaisir est donc ailleurs, dans les veillées au coin du feu, les fous rires, un pas de danse qui vient malgré soi ; dans les moments précieux où, à seize ans, on se sent enfin « au-dessus de la moyenne ».