Après le chef d’œuvre de Melville, Alain Corneau revisite une nouvelle fois le roman de José Giovanni ainsi que le genre du polar.
Tout commence par un homme âgé déjà qui tremble et hésite à sauter sur le mur extérieur de la prison de laquelle il cherche à s’échapper. L’angoisse et la paralysie se sont emparées de Gu, gangster respecté. La difficulté à faire le pas, le pressentiment que regagner ses terres ne va pas être aisé. Et puis, enfin, il réussit à sauter, à s’évader, à courir.
Parce qu’il bénéficie d’un « deuxième souffle », le vieux gangster parvient à retrouver les siens : Alban, son ami de toujours, et Manouche, l’égérie de la haute pègre, celle qu’il aime. Après avoir assisté au meurtre de l’un des leurs, tous deux voient leur vie mise en danger. Mais Gu débarque, et alors la machine infernale qu’est toute cette tragédie se déclenche.
Il y a les règles du jeu qui ont changé, le respect disparu lors de toutes ces années de prison, la présence dangereuse de Jo Ricci qui menace de salir la réputation de Gu, l’amour de Manouche, son désir d’en finir au plus vite avec cette vie faite de fuites successives, le manque d’argent, l’attrait de le gagner par ses propres moyens… De réaliser le dernier coup, le plus beau de tous les casses… De partir en beauté, finalement.
Alain Corneau réussit avec son Deuxième Souffle à adapter une nouvelle fois le roman de José Giovanni, après le chef d’œuvre de Melville, sans pour autant avoir à rougir de son travail.
Car il s’agit ici bel et bien d’un véritable hommage rendu au genre du polar, l’esthétisme brillant de l’ensemble s’accompagnant d’un respect fidèle au texte original, lui-même extrêmement solide d’un point de vue scénaristique. Le cadrage est toujours intéressant et porteur d’un sens, d’une véritable justesse, sans pour autant jamais tomber dans l’excès d’esthétisme, ce qu’on ne saurait que louer, tant la décoration à outrance peut desservir le polar.
Comme le souligne le réalisateur lui-même, le polar est un genre dont le renouvellement est devenu aujourd’hui absolument nécessaire, et qui doit trouver sa place entre un naturalisme poussé qui semble être le mot d’ordre des polars contemporains – qui confinent parfois au documentaire, et un univers originel, celui des années 50 et 60, qui se caractérise par des héros dont les postures morales semblent devenues anachroniques.
Alain Corneau a fait le choix du tragique des premiers polars, des personnages tourmentés et grandis par des situations inextricables, sans renoncer à réactualiser et personnaliser cet univers. Il se sert ainsi du cadre historique premier, d’un point de vue clairement situé du côté des gangsters et d’un tournage en studio pour réaliser, enfin, un polar où le marginal est mythique, glorieux.
Le réalisateur de Police Python 357 et du Cousin parvient ainsi à proposer une version d’une justesse implacable, grâce notamment à la création d’un univers visuel propre, absolument différent des adaptations précédentes, et incarné par un choix de couleurs vives, qui se traduit à la fois dans le décor et la photographie, impeccables.
Car ces deux derniers éléments relèvent dans Le Deuxième Souffle d’une importance immense, qui n’est pas sans rappeler celle que leur confèrent les films d’Almodovar notamment. Le décor n’est ni tout à fait théâtral, ni vraiment réaliste, mais est porteur d’une atmosphère particulière, étrange, presque onirique.
Quant à la photographie, loin des camaïeux réalistes des polars contemporains, elle participe elle aussi à la composition de tableaux magnifiques : le bureau glacial de Blot, dans des teintes très sombres, l’atmosphère douce et embrumée de la chambrette de Gu, un peu ocre et floue, l’ambiance angoissante de l’hôtel de la scène finale, dont les coins et recoins sombres, couverts de rideaux ou de papier peint défraîchi rappellent les couloirs lynchiens de Lost Highway ou Mulholland Drive.
Le Deuxième Souffle peut par ailleurs se vanter d’avoir réussi à introduire de façon remarquable le procédé du ralenti dans le polar français, procédé dont la maîtrise revient d’abord aux réalisateurs asiatiques, notamment pour les combats chorégraphiés. Quelques scènes au ralenti viennent ainsi magnifier les scènes de violence, notamment celle de la mort de Gu, quasi viscérale, tant les rebonds des balles sur le corps du vieux gangster relèvent d’un esthétisme saisissant.
Le film d’Alain Corneau respire par un casting composé d’acteurs qui semblent prendre un plaisir d’une rare ampleur à interpréter des rôles parfaits d’exactitude, de richesse, à prononcer des répliques d’une évidente gravité, comme les derniers mots de Gu adressés aux policiers qui le criblent de balle : « Qu’on en finisse ! ». Gu, interprété par un Daniel Auteuil qu’on n’avait plus jamais vu aussi habité par son rôle depuis Hugolin, joue à la perfection le rôle tragique de l’homme face à un choix déjà fait : celui du destin. Il y a dans le jeu de l’acteur à la fois l’hésitation du regard et la détermination de la démarche. Quelque chose de légèrement décalée, un jeu qui semble à chaque fois annoncer ce qui suit. Exactement ce qui agace habituellement chez la plupart des acteurs, mais qui sied ici tout à fait au personnage, toujours en retrait, au-dessus des autres, en avance.
Jacques Dutronc, quant à lui, brille par son interprétation du gangster Orloff fidèle et vertueux. Sa parole est rare et mesurée, et son regard est souvent moqueur.
Le Deuxième souffle contourne ainsi la difficulté de l’adaptation d’un succès littéraire, d’autant qu’elle est précédée du chef d’œuvre de Melville, et réussit un pari risqué : celui d’un regard neuf et d’une version à la fois personnelle et fidèle au roman, qui propose une atmosphère absolument originale, tant il s’agit là d’un polar esthétiquement décontracté, et à merveille interprété.