Le ciel étoilé au-dessus de ma tête

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Maniant humour et philosophie, ce troisième film de l’écrivain Ilan Klipper, n’est pas sans intérêt, même s’il se perd parfois un peu en chemin.

Critique de la raison pratique ?

En reprenant comme titre de son ouvrage la célèbre épitaphe qu’Emmanuel Kant a voulu voir figurer sur sa tombe à Königsberg, extraite de la fin de La critique de la raison pratique (1788) : « Deux choses ne cessent de remplir mon cœur d’admiration et de respect, plus ma pensée s’y attache et s’y applique : le ciel étoilé au-dessus de ma tête et la loi morale en moi. », l’écrivain du film d’Ilan Klipper, au titre éponyme, met la barre très haut. Le film suit parfois ce postulat, mais aussi peut parfois nous dérouter, sembler se noyer, sans toutefois jamais perdre ses spectateurs en chemin, ni se départir d’un humour grinçant déconcertant.

Angoisse de la page blanche

Basé sur le procédé du film dans le film, qu’on pourrait pompeusement qualifier de mise en abyme, le film raconte l’histoire toute simple d’un homme qui s’enferme chez lui pour tenter d’écrire un roman. Tous les artistes ont connu cette grande difficulté pour accoucher d’une oeuvre, qui parfois les pousse à un déséquilibre mental, entre démesure et asociabilité, et qui n’est, à proprement parler, que la traduction de l’urgence qu’ils ont à créer. Arriver à en faire un film construit, ce n’est pas évident, et parvenir à faire rire avec ces mésaventures, voilà qui s’apparente à une gageure. « Ce qui m’amusait, en premier lieu, déclare Ilan Klipper dans le dossier de presse, c’était de raconter comment je travaille. Dans un processus de création, on mélange des choses qu’on a vécues avec d’autres qu’on a vues à la télévision ou qu’on a lues ou qu’on a totalement imaginées… Tout ça est là, en permanence, en train de tourner en rond dans la tête, jusqu’au jour où on se décide à le coucher sur le papier. Je suis donc parti de ça pour raconter l’histoire d’un écrivain seul chez lui, en peignoir, en pleine ébullition créative, qui doit faire face à une « intervention » de la part de ses proches qui le croient fou. Est-ce que cette intervention est fantasmée ? Est-elle un souvenir ? » Bien sûr, on n’en saura rien car le film va crescendo jusqu’à gravir les marches d’un théâtre de l’absurde qui donne à la fois envie de rire, mais surtout de pleurer sur une humanité, la nôtre, si dépourvue de repères. Quand l’heure est grave et qu’on pense l’écrivain – magnifiquement interprété par un Laurent Poitrenaux qui n’a peur de rien et va jusqu’au bout de son personnage – perdu, entrent bien entendu en scène, presque immédiatement, la famille déglinguée, l’amie, la psy séduisante sur laquelle il est aisé de faire un transfert.

Une machinerie mal huilée, la vie

En vrai, tout ce petit monde vacille, ne sait plus très bien où il va, comme la société d’aujourd’hui prise dans les rets d’une machinerie mal huilée et qui dérape en tout sens, tant et si bien que l’épitaphe de Kant, du plus bel effet sur la couverture d’un ouvrage de la collection Blanche de chez Gallimard, devient une antiphrase : il n’y a pas plus de ciel étoilé au-dessus de nos têtes que de loi morale dans nos cœurs. Film d’une splendide noirceur sous ses dehors foutraques, Le ciel étoilé au-dessus de ma tête complète parfaitement les précédents films du réalisateur qui s’en explique dans le dossier de presse : « Oui, pour moi, Le ciel étoilé est le troisième volet d’un triptyque sur l’errance psychique, la création et l’enfermement. Le premier, Sainte-Anne (2010), était un documentaire de 90 minutes pour la télé, dans un style de cinéma direct, sans commentaire, sans interview. Un film dur. Le second, Juke-Box (2013), était un court-métrage de fiction, assez aride également où j’observais un chanteur (joué par Christophe) dont l’heure de gloire était passée depuis bien longtemps et qui vivait seul, reclus dans son appartement. Une approche plus poétique que pour Sainte-Anne. Pour Le ciel étoilé, je me suis lancé un défi : raconter des choses tout aussi profondes que dans mes précédents films, mais avec de l’humour. »


Transcendantal, voire métaphysique

Et c’est très réussi, même si cet humour vraiment grinçant met souvent mal à l’aise, tout comme la vision de Christophe qui s’était magnifiquement prêté au jeu dans Juke-Box. Ilian Klipper se révèle comme un très bon réalisateur avec ce troisième film, mais aussi se place comme potentiel maître à penser à un moment où nous en avons tant besoin, si bien qu’il faut lui laisser le mot de la fin : « Le ciel étoilé, c’est le transcendantal, ce sur quoi on ne peut pas agir. Je suis persuadé qu’il existe des forces sur lesquelles on n’a aucun pouvoir. Ce sont des lames de fond dans lesquelles on se débat, et qui nous emportent, qu’on le veuille ou non. Et en dépit de cela, il y a la loi morale, l’immanent, les règles qu’on se fixe dans sa petite existence, et elles sont importantes… »

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Durée : 77 mn


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