La résistance de Sturges face aux volontés de Hugues vis-à-vis de Jane Russell a en effet quelque peu changé le rapport entre les personnages. Exit la bimbo de tous les plans, Jane Russell se retrouve second rôle et, avec une certaine finesse, s’extrait de son image de femme objet pour devenir le personnage le plus adulte du film. Machos, braillards et assumant fièrement leur masculinité, les hommes sont des grands gosses qui, malgré leur assurance, tombent tête la première dans chacun des pièges tendus. Comme leurs amies, on les entend parler, mais, sourire au coin des lèvres, on ne les écoute pas vraiment. Cette complicité avec les belles est d’autant plus jouissive qu’il ne viendrait pas à l’idée de nos deux héros qu’ils sont peu pris au sérieux. Sans aucun doute l’une des plus grandes réussites de John Sturges.
Mais si La Vénus des mers chaudes a eu autant de succès au box-office, c’est surtout du fait des images sous-marines qui vont rythmer l’exploration du galion et la recherche du trésor. Lents et forcément muets, ces moments restent, même aujourd’hui, un modèle de mise en scène. Au service du récit, comme le reflet des scènes bavardes en surface, jamais ils ne ralentiront son bon déroulement et chacun d’entre eux redéfinira temps et espace pour un instant. Bouteille d’oxygène sur les épaules, chaque minute sera comptée pour les personnages mais, perdu dans un espace instable, véritable labyrinthe fait de bois, de mousse et d’angles étranges, le temps n’aura plus effet. Jamais gratuites, ces scènes seront toujours centrées sur la narration, ses personnages, et vont intelligemment servir le film. Les très belles minutes qui voient Jane Russell coincée au fond du galion en compagnie de requins illustrant parfaitement cette mise en scène du temps et de l’espace comme moyen de créer une tension : comment la sauver avant qu’elle soit à court d’oxygène ; comment sortir de ce galion sans cesse en mouvement… Un bel exemple, sans dialogue, quasi sans regards, de la mise en place d’un suspense par la pure mise en scène. Juste des corps dans un cadre tremblant.
Pourtant, et c’est là les limites de La Vénus des mers chaudes, si tension il y a, elle reste assez vaine. Totalement inoffensif, exempt de tout conflit (il faut voir le traitement fait des badguys !!!), le film de Sturges semble nous crier depuis ses premiers plans que tout finira bien. Et ça sera le cas. Difficile pour autant de condamner ce film qui vit aujourd’hui justement grâce aux partis pris de son réalisateur et l’amour qu’il avait pour ses acteurs. Un Sturges peut-être mineur mais pas anodin.