La Planète des Singes : Suprématie

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Changer d’espèce dominante ne signifie pas changer les recettes du mauvais blockbuster.

Dernier volet de la trilogie, La Planète des Singes : Suprématie met en scène la conquête décisive de la Terre par le peuple singe, conduit par César. On aurait pu espérer de ce final un changement de perspective sur l’homme, une rupture avec l’anthropocentrisme claironnant ; or, non seulement le film n’opère pas une rupture, mais il se charge de plaquer sur les singes les valeurs et les structures propres aux sociétés humaines.

Transfert de structures

 
« Il faut que tout change pour que rien ne change » : ces mots trop fameux d’Alain Delon/Tancrède Falconeri valent autant pour Le Guépard (Luchino Visconti, 1963) que pour La Planète des Singes : Suprématie. Comme dans The Last Girl – Celle qui a tous les dons (Colm McCarthy, 2017), l’espèce humaine disparaît, mais l’humanité, c’est-à-dire l’ensemble des valeurs morales, sociales et politiques élaborées par cette espèce, persiste au travers de la nouvelle espèce dominante – zombies ou singes. Mais à la différence de The Last Girl, qui interrogeait de manière critique les valeurs humaines et en éliminait bon nombre – à commencer par le machisme et le culte du chef –, La Planète des Singes les reproduit toutes, sans aucune réflexion sur leur pertinence au sein de la nouvelle société singe.

Pour paraphraser l’anthropologue Lévi-Strauss, auteur des Structures élémentaires de la parenté, La Planète des Singes met en scène le transfert des structures dites « élémentaires » de l’humanité. Parmi ces structures se retrouvent le plus naturellement du monde les divisions sexuelles (mâles/femelles), sociales (peuple/élite) et politiques (masses/chefs) propres au monde humain, ainsi qu’un certain nombre de sentiments : pitié, sentiments familiaux, justice…
Bien entendu, ces structures n’ont rien à voir avec celles des grands singes : on a rarement vu une femelle chimpanzé aussi sexualisée que Lake, la belle-fille de César (Andy Serkis), qui frise le ridicule avec ses boucles d’oreille, et qui, contrairement aux mâles farouches, accepte de travailler pour les humains, afin de ne pas voir les petits singes maltraités.

En face, les humains versent dans le chaos : d’un côté les crypto-fascistes conduits par le Colonel (Woody Harrelson), de l’autre ceux atteints par une épidémie qui les rend muets. L’anarchie contre l’ordre. En grossissant ainsi le trait manichéen entre le Mal et le Bien, La Planète des Singes opère tranquillement la naturalisation de structures socialement construites – tels le genre, la classe, l’organisation politique – et donc contingentes. Comme si sauver l’humanité impliquait de préserver tout ce qui la corrompait.

 


Cecil B. DeMille chez les singes
 
La naturalisation ne se cantonne pas aux seules thématiques du récit. Elle afflige autant, si ce n’est plus, sa mise en scène. Structures élémentaires de l’humanité et structures élémentaires du (mauvais) film à grand spectacle semblent aller de paire.

À commencer par l’horripilante rhétorique du pathos. Pas un plan qui ne soit gangréné par les violons élégiaques et les cordes lyriques. Pas une scène où l’on ne cherche à provoquer la petite larme. À force de sursignifier l’émotion, le film se vide évidemment de tous sentiments réels, pour ne ressembler plus qu’à un immense champ de clichés, tous plus honteux les uns que les autres.

Il suffit de voir le plan final pour comprendre à quel point La Planète des Singes pille le cinéma hollywoodien. Dans un plan large auréolé d’effets numériques, point à l’horizon l’aube d’un soleil nouveau sur la Terre promise enfin gagnée par le peuple singe. On se croirait dans Les Dix Commandements (Cecil B. DeMille, 1956). Comme le pompeux péplum, La Planète des Singes s’acharne à narrer l’épopée d’un nouvel Exode, où les Singes, guidés par César/Moïse, remplaceraient les Juifs fuyant d’Égypte.

À l’heure de l’anthropocène et de la remise en cause de la toute-puissance humaine, il est grand temps de sortir du mythe glorifiant, et de voir dans un grand singe autre chose que le miroir de nos sagas lénifiantes.

 

Titre original : War For The Planet Of The Apes

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Durée : 140 mn


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