Régis Wargnier connaît bien le monde de l’athlétisme. C’est même devenu une passion pour lui. Celle-ci l’a déjà conduit à réaliser en 2003 et 2004 avec la collaboration du journaliste sportif Patrick Montel deux documentaires pour France Télévision, Cœurs d’athlètes et D’or et d’argent, dans lesquels il était parvenu à filmer au plus près le quotidien d’athlètes d’envergure internationale – presque des légendes au vu de leurs palmarès – avec comme point d’orgue la course, moment par lequel ces êtres hors du commun entreprennent de tutoyer la grâce. La Ligne droite est une fiction qui se nourrit de cet univers, de son imagerie, de ses valeurs, mais qui malheureusement ne parvient jamais à trouver la forme qui lui rende justice.
C’est pourtant une belle idée qui a présidé au projet : celle de se focaliser sur un objet, une simple cordelette reliant les poignets d’un coureur non-voyant et de son guide. Ainsi attachés, ils doivent apprendre à se sentir courir, synchroniser leurs foulées et trouver la cadence parfaite. En point de mire : la maîtrise du geste et la victoire. La vision du sport proposée par Wargnier, à la fois idéaliste et sincère, en fait le lieu d’une quête d’absolu. La contrainte imposée aux coureurs par le lien suggère la nécessité d’une fusion entre les corps que le film semble tout d’abord vouloir mettre en œuvre. De belles promesses…
Il perd malheureusement très vite de son intérêt par la manière qu’il a de vouloir à tout prix donner une profondeur psychologique à son récit, et oublie du même coup ses intentions premières. Il s’aventure ainsi sur un terrain que le cinéaste maîtrise mal (on repense à Est-ouest, Man to man, Pars vite et reviens tard) : il injecte du drame un peu dans tous les sens. Ainsi, un problème de garde d’enfant, un autre de réinsertion, une relation mère-fils un peu tendue, des passés douloureux à réparer… : autant de ramifications que le scénario amorce sans les exploiter réellement qui produisent un ensemble très hétérogène et totalement inabouti. Seul un humanisme béat fait de phrases passe-partout semble chercher à lier tout ça. Dans tous les cas, il s’agit de « redresser la barre », de « dépasser ses limites », de « faire face à son destin ». Maîtriser sa trajectoire c’est comme prendre sa vie en mains. La métaphore sportive est appliquée à tout et n’importe quoi. Et la morale trouve très vite sa limite : l’athlétisme, c’est comme la vie. Bof.
Cette dimension que le film choisit d’embrasser sonne un peu comme un désaveu du cinéaste vis-à-vis de son sujet. Sur le tournage de ses documentaires, Wargnier avait « à disposition » trois stars, trois monuments de l’athlétisme : le Marocain Hicham El Guerrouj, l’Ethiopien Haïlé Gebreselasié, l’Allemande Heike Dreschler, chacun médaillé à plusieurs reprises dans sa discipline et dont la seule présence à l’image suffisait à produire du récit. La construction d’une fiction semble l’encombrer. Il s’y révèle maladroit. Ses personnages manquent d’incarnation. L’utilisation d’images tournées lors d’une vraie compétition (meeting Areva de juillet 2010 organisé au stade de France) ne fait pas illusion. Le montage de cette séquence, saturée de ralentis et d’effets sonores qui renvoient à la subjectivité des coureurs, est particulièrement boursoufflé. Par trop de maniérisme, il dévitalise totalement son sujet, même lorsqu’il filme une simple course. Entreprise d’anoblissement par le cinéma, La Ligne droite jamais n’émeut ni n’intéresse. Dommage. Il y avait peut-être autre chose à faire.