Interdit aux moins de 18 ans à sa sortie en 1969, La Fiancée du pirate, n´en demeure pas moins une oeuvre majeure non seulement de Nelly Kaplan, mais surtout de la Nouvelle Vague.
Ce film en forme de manifeste féministe donne à voir la vengeance d´une femme. Trop humiliée depuis des années, à la mort de sa mère, Marie décide de se venger sans vergogne. Elle commence alors une entreprise de séduction sur tout ce que le village de Tellier compte de notables. Se déroule alors devant nos yeux, (surpris, curieux, blasés surtout) un grand numéro de séduction mené par Bernadette Laffont. Nelly Kaplan prend des risques, s´engage en faveur d´une liberté sexuelle. D´un libertinage ? Peut-être. Sûrement. Pas seulement. Il y a dans ce film une critique de la religion catholique, des femmes (montrées comme des bigotes un peu frigides !), des hommes (faibles menés par leurs désirs, incapables de se contrôler), des jeunes (le petit scout étouffé par sa niaiserie) et des vieux, des curés (corbeaux en soutane pas si insensibles). La cinéqste dénonce le matérialisme des gens confortablement installés et leur xénophobie autant que leur hypocrisie. Tout y passe. Nelly Kaplan fait de son premier film une sorte de pamphlet anticonformiste voire anarchiste dans lequel la liberté y tient le meilleur rôle.
On dirait que la réalisatrice part dans tous les sens, qu´elle traite tout ce qu´elle peut de sujets plus dérangeants les uns que les autres. Et au final, y voir là la catharsis de tout ce qui à cette époque pouvait choquer et surtout oppresser la réalisatrice et les femmes d´après 68 n´est pas faire fausse route. Elle entraîne son actrice loin dans la perversion des interdits moraux jusqu´à ce que, repue de tout, cette dernière mette le feu à sa cabane, à l´antre du mal et prenne la route vers sa nouvelle vie, libérée de tout ce qui l´assujettissait.
Evidemment, aujourd´hui ce film ne choque plus. Voir des scènes de nu ou même des actes sexuels est devenu monnaie courante et ne va pas déclencher de cabale ou autre mouvement de foule. Mais il est aisé d´imaginer qu´à l´époque où les églises n´abritaient pas que quelques vieilles âmes, l´attitude de Marie, une lascivité à la Madame Bovary (quoique l´héroïne flaubertienne fût plus prude) puisse gêner. Le curé y fait allusion dans le film quand il vient au cinéma improvisé dans le bar, rien de choquant pour un curé ? Rien que la morale ne réprime ? En donnant au film, montré dans son film, le même titre, Nelly Kaplan illustre son message : elle veut choquer, bouleverser l´ordre établi en mettant en scène une héroïne éprise de liberté.
A la beauté sensuelle et au charme sauvage, Marie use et abuse des hommes. Y voir une ombre d´Esméralda ? Pourquoi pas. (Elle a pour compagnon un bouc comme la bohémienne avait une chèvre.) Surtout, elle semble représentée pour les villageois le mal venu d´ailleurs. D´un ailleurs inconnu et qui inquiète. Elle est l´autre, l´étrangère, la fauteuse de trouble, plusieurs fois qualifiée de romanichelle. Elle est le bouc émissaire que l´on doit ostraciser afin de retrouver la paix.
Cette héroïne est incarnée par Bernadette Lafont. L´actrice peu connue est associée aujourd´hui à quelques (mauvais ?) films et cantonnée aux seconds rôles (même excellents comme celui de L´Effrontée de Miller ou récemment dans Prête-moi ta main d´Eric Lartigau). Elle n´en demeure pas moins l´égérie de la Nouvelle Vague et devient dans les années 70, le symbole de la liberté sexuelle. On envie sa liberté, son aisance et même si aller jusqu´à la prostitution pour prouver son indépendance est drastique, on pardonnerait presque cette soumission !
Et c´est sur un air de Barbara, Moi, je me balance, qu´elle évolue sans complexe et n´en finit pas de marquer les esprits. Jolie chanson composée par Moustaki qui ponctue le récit, leitmotiv qui reste en tête mais va bien au film.