La comédie romantique, genre usé du cinéma français

Article écrit par

Sur les quinze films sortis dans la semaine du 12 au 19 décembre, deux nouvelles comédies romantiques françaises sont offertes au public : Un baiser s’il vous plaît de et avec Emmanuel Mouret d’un côté, et Si c’était lui… d’Anne-Marie Etienne de l’autre. Depuis une dizaine d’années maintenant, il se passe rarement une semaine sans […]

Sur les quinze films sortis dans la semaine du 12 au 19 décembre, deux nouvelles comédies romantiques françaises sont offertes au public : Un baiser s’il vous plaît de et avec Emmanuel Mouret d’un côté, et Si c’était lui… d’Anne-Marie Etienne de l’autre. Depuis une dizaine d’années maintenant, il se passe rarement une semaine sans qu’un film de ce genre ne soit proposé par le cinéma français. Ne nous amusons même pas à compter les comédies romantiques américaines ou anglaises. Pour bien comprendre ce singulier phénomène, il faut d’abord saisir les particularités de notre cinéma.

Le cinéma français, dès qu’il s’attaque à un genre codifié, possède un complexe d’infériorité vis-à-vis du cinéma hollywoodien, dont la diversité, l’efficacité et l’implantation internationale ne trouvent nulle comparaison équivalente. Cependant, s’il est un domaine sur lequel notre exception culturelle n’a pas à rougir, c’est dans la popularité de nos comédies et de ses comédiens ou comiques associés. Alors qu’un Jean Dujardin est au sommet de sa gloire avec le carton (jaune) de Brice de Nice – bien qu’à l’affiche d’un film d’action "à la française" avec Le Convoyeur quelques mois plus tôt -, difficile pour des comiques américains estampillés "Saturday Night Live", comme Adam Sandler ou Will Ferrell, de trouver la confiance des distributeurs français pourtant auréolés de plusieurs succès au box-office outre-atlantique mais totalement inconnus en France. Et pourtant, c’est bien l’humour "SNL" qui sera en partie responsable du regain d’intérêt pour les comédies romantiques françaises. En effet, l’émission, ayant révélé des comiques comme Bill Murray, Eddie Murphy ou Mike Myers, a laissé une empreinte durable dans la mémoire du groupe d’humoristes Les Nuls qui reprendra ce concept pour "Les Nuls, l’émission" de 1990 à 1992. Parmi les Nuls, un certain Dominique Farrugia, qui deviendra quelques temps plus tard producteur de cinéma.

Et c’est en 1996 qu’il co-écrit et réalise Delphine 1 – Yvan 0. L’idée principale et l’originalité de ce film résident dans le fait que les pérégrinations d’un couple de jeunes adultes soient commentées par intermittence par un autre couple, mais de commentateurs de football : Thierry Roland et Jean-Michel Larqué. Cette première production atteindra son but en devenant un vrai succès populaire grâce à la fraîcheur de ses jeunes acteurs peu connus à l’époque, ainsi qu’à son ton décalé et absurde au sein d’un genre habituellement formaté. Il est d’ailleurs amusant qu’en 2003 pour l’une et en 2006 pour l’autre, les deux compères de Farrugia aient chacun oeuvré dans la comédie romantique, avec Laisse tes mains sur mes hanches pour Chantal Lauby et Prête-moi ta main pour Alain Chabat. Si l’on s’en réfère à ce dernier film, on apprend qu’au départ, il devait être une "simple" comédie et que le concept de la comédie romantique est arrivé sur le tard !

Néanmoins ce qui rapproche ces deux films, ainsi que de nombreux autres (comme Ma vie en l’air de Rémi Bezançon), c’est le ton volontiers absurde par moment. Nous ne sommes pas dans le réalisme des comédies romantiques américaines par exemple, si tant est qu’on puisse utiliser ce terme pour désigner ce genre de films. L’utilisation de la voix-off désigne le point de vue du personnage qui parle et de ce fait, on entre dans une réalité décalée, intérieure, subjective, qui permet ce type de décrochage humoristique (voir l’introduction de Prête-moi ta main où Alain Chabat change de look par un jeu de montage, hésitant sur l’exactitude de ses souvenirs). À défaut d’être originaux sur le fond (Prête-moi ta main et Cherche fiancé tous frais payés d’Aline Issermann, sorti huit mois plus tard, partagent des pitchs similaires), les comédies romantiques françaises tentent une relative originalité sur la forme, héritée des comédies fantaisistes.

Cette volonté de mettre en avant les intrigues amoureuses de la part de producteurs et son succès auprès du public constituent sûrement une partie de notre exception culturelle. Prête-moi ta main montre l’exemple d’une comédie absurde lorgnant peu à peu vers la comédie romantique. À la télévision, des séries policières comme "Julie Lescaut", mettent particulièrement en avant les intrigues sentimentales considérées comme secondaires, et le public suit pourtant. Il y a une vraie demande de la part du public français et des offres y ont légitimement répondu. Alors évidemment, lorsque l’on prend le genre le plus populaire (la comédie) et qu’on le mélange avec un autre genre populaire (les intrigues sentimentales), le facteur "risque", même s’il est réel, s’en trouve considérablement amoindri. D’un point de vue financier, et c’est aussi cela le cinéma, les producteurs français (que l’on désignera poliment de "frileux") y trouvent leur compte : cela ne coûte pas cher à produire mais ça peut rapporter gros. Et ce n’est pas le producteur de Ce soir, je dors chez toi d’Olivier Barroux, qui nous dira le contraire.

Seulement, comme souvent, quand on abuse du filon, il s’épuise, et il devient nécessaire de retrouver l’équilibre entre qualité et quantité. Et pourquoi ne pas tenir compte dans la balance de ce facteur "risque" comme les producteurs anglais de Shaun of the Dead ("Une comédie romantique… avec des zombies !"), véritable phénomène outre-manche mais qui a laissé nos spectateurs franchouillards de marbre. Décidemment, la vie de producteur n’est pas une comédie romantique : cela ne finit pas toujours bien…

Raphaël Czaja


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi