S’il est un mythe qui permet de comprendre ce que fut le réalisme soviétique – autant dire la méthode qu’utilisa le pouvoir soviétique pour diffuser sa propagande -, c’est bien celui de l’ouvrier Alexeï Stakhanov, mineur du Donbass dans les années 30. Stakhanov fut érigé par les autorités soviétiques en ouvrier modèle aux capacités de travail inouïes. Nous savons maintenant que la réalité fut tout autre et que Stakhanov ne fut qu’un instrument au service de la propagande stalinienne. La fin tragique du mineur – il mourra dans un asile d’aliénés – démontre toute la falsification de la réalité qu’a constitué l’endoctrinement soviétique – dont le cinéma fut l’instrument premier.
Symphonie
Le cinéma soviétique des années 30 fut en effet un instrument de choix pour Staline afin de construire le mensonge d’une Union soviétique mythique, tel un gigantesque pays de Cocagne. A l’instar de La Symphonie du Donbass de Dziga Vertov (1930) dont le scénario fait table rase de la Russie éternelle pour laisser place aux images parfaites d’une jeunesse rouge épanouie.
Dans La cacophonie du Donbass, le réalisateur Igor Minaev a entrepris de nous montrer, comme il le dit dans le dossier de presse, que l’idéologie, quelle qu’elle soit, détruit les gens et déforme le monde. Pour cela, il a décidé de s’intéresser au Donbass, plus grand bassin de Charbon à l’est de l’Ukraine. Cette région est apparue au centre de l’actualité internationale en 2014, lorsque après l’annexion de la Crimée par la Russie, des hommes en armes non identifiés l’ont occupée…
Décryptage
Dans ce très beau documentaire, Minaev utilise des films d’archives et des films d’actualités des années 30 aux années 90 pour nous montrer toute la puissance de falsification de la vérité que constitue une propagande politique. A l’instar des films du réalisateur Loukov dans lesquels les habitants du Donbass sont pleins de joie de vivre, heureux et simples. Tous ces films ont fabriqué le mythe la région minière ; ils n’étaient en fait que des mises en scène. Les conditions de vie déplorables des ouvriers, les coups de grisou et leurs victimes ne faisaient pas partie du tableau. La souffrance des mineurs était mise hors champ. Un montage parfait et une voix off décryptant ces images – pures mensonges que l’on qualifieraient aujourd’hui de fake news – permet à Igor Minaev d’illustrer, par le cinéma et de très belle façon, la pensée de Maxime Gorki sur le réalisme socialiste. Pour l’écrivain russe le réalisme socialiste assume deux rôles : celui de l’accoucheur qui consiste à donner naissance à un monde nouveau et à un homme nouveau et celui de fossoyeur qui consiste à enfouir la vérité le plus profondément possible.