La Blonde aux seins nus

Article écrit par

C’est un film en forme de dérive sur la Seine. Une belle escale cinéphile hors temps, qui emprunte les canaux du romanesque. Dommage que Manuel Pradal embrouille son conte au fil de l’eau d’éléments extérieurs et de clichés dispensables.

C’est une dérive, mais sûrement pas un naufrage. Une escale cinéphile hors temps, voire hors espace, en fait, puisque le quatrième long métrage de Manuel Pradal est un "road movie" version fleuve. Entendez qu’il adapte son rythme nonchalant à celui d’une péniche, sur la Seine, là-même où cette cavale à trois, assez improbable on le concède, noue ses tensions, ses désirs et ses rebondissements !

Lumineuse, l’excursion : le farouche cinéaste de Ginostra puis d’Un crime, en retrouvant la belle nature de Vahina Giocante, douze ans après Marie baie des anges, s’intéresse à nouveau à la solarité de quelques héros canailles. Du coup, nimbé de couleurs et de sensualité, de charme sauvage et de (presque) légèreté, son film pourtant fluctuant parvient à nous embarquer. Aux confins du conte et de l’hommage à Renoir (plutôt qu’à Jean Vigo, d’ailleurs), un romanesque aussi assumé ne peut, de toute façon, être balayé d’un revers de manchette amidonnée. Il y a trop peu de rêveurs dans le cinéma français…

Trio

Car oui, attention, en dépit de son titre suave, La Blonde aux seins nus n’est pas un film racoleur ni coquin. Soit Julien, 25 ans et Louis, 12 ans, deux frères félins, inséparables (Nicolas Duvauchelle, encore une fois dans un rôle de dur au cœur tendre, et Steve Le Roi, une découverte) : ils vivent en marge, au fil de l’eau, arrondissant leurs fins de mois avec des petits larcins. On leur propose un gros coup : voler un tableau de Manet, la fameuse Blonde aux seins nus. Et contre toute attente, ils réussissent l’impensable ! Sauf que Rosalie, la gardienne du musée, est un joli brin de fille qui n’a pas froid aux yeux (Vahina, plus étonnante dans l’humour que dans l’incandescence, sans doute parce que plus inattendue dans ce registre). Leur tandem se transforme donc en un trio contrarié, aléatoire… et plus si affinités. Leur échappée belle sur la Seine leur offrant, évidemment, bien des voyages, symboliques ou pas…

Regard

Ce n’est pas tant l’argument du film, assez mince et moyennement captivant, qui intrigue, que le regard de Pradal sur ses personnages (et le travail de Yorgos Arvanitis, le directeur de la photo). Impressionniste, en quelque sorte, pour coller à l’ambiance générale du film, suggérée d’emblée par le tableau prétexte. A la fois doux et rugueux, raffiné et brut. Toujours plein de vitalité. Raccord avec ces trois jolis Gavroches, au fond, déchirés mais sans excès. On sent que Manuel Pradal les aime, il sait donc nous les rendre attachants et plus complexes qu’il n’y paraît, selon la lumière ou le moment. Ce qui est plutôt une gageure, car nombre de clichés affleurent autour d’eux ! Pourtant, et c’est là que l’audace du franc-tireur a du bon, en allant jusqu’au bout des conventions – un épilogue heureux, par exemple – Pradal parvient à les rendre pertinentes, voire singulières ! Il suffit juste d’y adhérer, comme lui, et de se laisser emporter, à fond.

En revanche, là où son film cale, c’est dans la multiplication des genres abordés. Un peu thriller (une cavale, quelques figures de voyous, floues, ratées), un peu "roman d’apprentissage" (parfois aigu, étonnant, parfois maladroit et convenu), beaucoup comédie romantique : La Blonde au seins nus ne parvient pas à décider, franchement, dans quelles eaux elle veut naviguer. Ces errances, ces flottements, ces afféteries (peut-être ?), diluent finalement l’attention et, surtout, l’intensité. C’est dommage, car du coup l’ambition poético-onirique, parfaitement légitime, de Manuel Pradal reste… à quai.

Titre original : La Blonde aux seins nus

Réalisateur :

Acteurs : ,

Année :

Genre :

Durée : 100 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

L’Aventure de Madame Muir

L’Aventure de Madame Muir

Merveilleusement servi par des interprètes de premier plan (Gene Tierney, Rex Harrison, George Sanders) sur une musique inoubliable de Bernard Herrmann, L’Aventure de Madame Muir reste un chef d’œuvre inégalé du Septième art, un film d’une intrigante beauté, et une méditation profondément poétique sur le rêve et la réalité, et sur l’inexorable passage du temps.

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…