En contrepartie, c’est dans les « à côtés » de son film, dans les petites histoires loin du commissariat de police, que Bertrand Tavernier trouve les plus beaux moments de L.627. C’est une romance platonique entre Lulu et une prostituée (Lara Guirao) où le cinéaste capture de touchantes scènes nocturnes. C’est ce même Lulu, caméra à l’épaule – passionné de cinéma, il filme sur son temps libre des mariages -, qui demande timidement à sa femme de se déshabiller devant lui. Noyées dans ce que se fatigue à être le film – un brûlot politique contre les conditions de travail de la police -, des scènes fonctionnent parfaitement grâce au choix unilatéral de départ : on ne vit et on ne voit qu’à travers les yeux d’un seul personnage alors, lorsque le film se penche sur l’intime, il semble se passer quelque chose. Au contraire, lors d’interrogatoires, de perquisitions, de planques, c’est ce même point de vue unique qui pose problème. Tous les dealers du film sont Noirs ou Arabes mais ils sont surtout frappés de mutisme. Les prostituées et les consommateurs de crack ne parlent qu’à travers la voix de ceux qui les interrogent, les malmènent et les accusent. Lulu et ses collègues sont aussi bavards qu’en face d’eux on est silencieux ou inaudibles. Ce déséquilibre provoque un véritable malaise et quand une indic’ prostitue sa fille et propose une passe à un flic, on aimerait entendre autre chose de la jeune femme que ses gémissements ; on aimerait la voir faire autre chose que se laver l’entrejambe. Bertrand Tavernier la capture sans concession dans sa pauvreté, filme la condescendance des flics à son égard mais cela ne peut suffire s’il ne lui donne d’autre existence que celle d’un contrechamp. Filmer ces images sans les interroger, si ce n’est se faire bonne conscience, c’est du moins faire de l’illustration ; s’appliquer dans la confection du décor. À trop confisquer parole et regard, Bertrand Tavernier paraît se faire plus juge qu’observateur. Pour un film qui se veut social et réaliste, difficile de lui pardonner.
L.627 (1992)
Article écrit par Fabien Alloin
Polar réaliste et caméra subjective.