Jonathan Nossiter

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On connaît surtout Jonathan Nossiter pour son documentaire Mondovino, consacré à la production et exploitation du vin dans le contexte sauvage de la mondialisation.

Ce serait oublier que le bonhomme s’est, par le passé, déjà essayé au documentaire et à la fiction, rejoignant un certain Woody Allen dans l’étude de caractères new-yorkais, s’attachant toujours à refléter la détresse de personnages marginaux et autres laissés pour compte.
 

Resident Alien (1990)

Mais qui est Quentin Crisp ? Un acteur, écrivain, show-man, icône tardive de la révolution homosexuelle secouant l’Amérique puritaine, comme nous le laisse imaginer ce docu-fiction datant de 1990. Une sorte de maelstrom compulsif où tout semble aller de pair quand on commence par s’enfuir de chez soi pour tapiner à Londres dans les années 30, avant de partir découvrir New York à 70 ans passés. Pêle-mêle, Crisp évoque dans ce film sa condition d’anglais exilé à New-York avec Sting, période « Englishman in New York », sa postérité, son rapport à la célébrité qu’il a chassée sans trop de volonté et la façon dont il voit comment évoluent les mœurs sexuelles avec le temps qui passe (qui dure ?).

Les intervenants (parmi lesquels John Hurt et diverses personnalités du monde culturelle new-yorkais) partent à sa rencontre, ou sont l’occasion de mini-reportages pris sur le vif, à l’image de l’essai infructueux de Crisp et d’un ami de faire exposer dans une galerie contemporaine des peintures d’un de leur protégé… lequel se voit demander quelle activité il a pratiqué pour être aussi visiblement obsédé par les hommes. La première intervention du responsable de la galerie aurait dû les mettre sur la voie : « Nous sommes dans une société puritaine. Il y a des règles ».

Mi-documentaire (la prise de vue est sauvage, à l’arrachée dans la rue, donnant la part belle aux réactions que suscite le passage de l’énigmatique Crip), mi-fiction (le film se met volontiers en scène, enchaînant les scénettes sans réels liens), Resident Alien est le témoignage d’un réalisateur passionné par la vie de bohème et de ses acteurs dans un Manhattan peu à peu déshumanisé par, paradoxalement, sa faune sans cesse changeante. Le titre, que l’on peut d’ailleurs traduire par « résident étranger », mention apparaissant sur les cartes de séjour des citoyens non-américains, se veut représentatif de l’itinéraire d’une personnalité iconoclaste, réaliste quant à son cheminement et ce qu’il représente à l’aube des années 90, sans jamais s’apitoyer sur son sort.

Tout du long, Quentin Crisp, personnage bien mystérieux, ne se lassera pas de dispenser son flegme et les nombreux enseignements qu’il a retirés de la vie, comme un dernier tour d’horizon avant que, comme il se le soit laissé imaginer dans la conclusion de son autobiographie, il ne quitte ce monde, « affamé et confus, titubant jusqu’à sa tombe ».

Sunday (1997)

Passé cet essai, Jonathan Nossiter réalise son premier film de fiction en 1997, nourri de ses incursions dans les oubliés du rêve américain. On le devine une fois de plus aisément taraudé par les laissés pour compte de la société, au travers de ce récit s’attachant à deux personnes esseulées, seulement à la recherche d’une compagnie pour se libérer du poids de la solitude. Chargé d’une mélancolie langoureuse, on suit le triste reflet de ces personnages, étouffés par la métropole, sans perspectives, beautiful losers ectoplasmiques. Oliver s’échappe du foyer pour SDF dès qu’il le peut, partant grappiller des morceaux de vie dans les rues, jusqu’à tomber sur Madeleine, actrice vieillissante, qui lui donnera une chance de briller en l’imaginant metteur en scène…

Quand bien même le prétexte est fallacieux, devenir un autre sera la plus aisée des identités à porter, et bientôt un étrange jeu de rôles débutera entre ces deux. Jouant de la naïveté de ses protagonistes, dépassé par le rêve concédé, Sunday trimballe bon gré mal gré son couple dysfonctionnel dans les faux décors d’un hypothétique film, où l’un sera le réalisateur et l’autre l’actrice : diners typiques, stores aux néons aveuglants, casse automobile et autres lieux cadavériques, tandis que chacun s’affaire à occuper sa vie. Navigant entre les bancs déserts, les quais de métros, la banlieue sans fin entourant les gratte-ciels merveilleux, la caméra de Nossiter capte chaque étincelle de vie et d’espoirs animant les délaissés de la grande ville.

Les compagnons d’infortune de Oliver, loin de servir la soupe aux clichés de l’amitié contre vents et marées, sont les parfaits reflets de ce que Nossiter aura ailleurs explicité, notamment dans Resident Alien : faire mine de s’en sortir ne peut attirer que des ennuis, comme si tenter d’y voir plus clair dans une vie trop morne s’assimilait à un orgueil mal placé. Pourtant il y a des jours épris de liberté comme ce dimanche, où l’idée d’avancer peut se substituer à la peur réconfortante de rester sous les draps.

Signs & Wonders (2000)

Sous couvert d’un thriller psychologique délaissant son Amérique pour la Grèce, Nossiter aborde un virage pour le moins inattendu. S’y retrouvent embarqués Stellan Skarsgard et l’exportable Charlotte Rampling à l’impeccable anglais, couple bateau dont les aventures extraconjugales du mari sont vite mises à jour, et stoppées nettes. On en perdrait presque de vue les oubliés d’une société en apparence idyllique, si ceux-ci ne se raccrochaient à quelques parcelles d’un rêve pour s’en sortir.

Tout comme Alec (Skarsgard), sous l’influence de signes et de prémonitions qu’il croit déceler au hasard des rues, et qui entretient un dialogue privilégié avec sa petite fille par cet alphabet singulier. Si l’idée est intéressante et permet d’aborder le cheminement d’un homme tout entier soumis à une interprétation biaisée des choses, le film devient gênant dans son traitement : tapissant son suspense d’une musique répétitive finissant par devenir réellement intrusive, sondant le moindre plan d’un halo de lumière aveuglant, filmant perpétuellement ses personnages à travers des vitres pour expliciter son propos et se moquant du mauvais goût qu’il déploie par ses choix, Jonathan Nossiter semble ne donner aucune importance à la forme de son film et fatigue par cet entêtement à vouloir tout traduire. On croit ne plus y reconnaître l’homme dévoilé par ses premiers travaux, mais l’accroche quasiment mystique du personnage de Skarsgard et son écroulement psychologique à mesure qu’il « progresse », ses interrogations (wonders) et le merveilleux qu’il se crée (wonders, encore) captent suffisamment l’attention jusqu’à un final en demi-teinte.

Tout dans le film est soigneusement détourné par un jeu de miroir permanent où Nossiter délaisse le fond pour la forme, en agitant sa caméra tantôt numérique, tantôt traditionnelle, mais souvent de façon vaine pour faire vivre son histoire. Le contexte reste intéressant mais le traitement laisse à désirer et faute de se laisser emporter, on s’aperçoit bien vite que l’intrigue tourne à vide, quand les premiers jalons appelaient à une étude plus minutieuse du personnage, pourtant fidèle aux obsessions du réalisateur.


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