Nous avons donc ici un protagoniste héros de la Guerre de Sécession, rendu apathique par la tragique et violente perte de sa famille. Des circonstances extraordinaires le propulsent dans le monde de Barsoom (nom que donnent les martiens à leur planète), où, en contribuant à vaincre la tyrannie en marche, il va aussi vaincre ses propres démons. Ce qui semble des défauts s’avèrent finalement des choix judicieux, tel le choix du malingre Taylor Kitsch dans le rôle-titre, loin du musculeux débordant de testostérone. Son manque de charisme apparent appuie l’aspect éteint et accablé du John Carter brisé du début de film, et sert d’autant mieux l’iconisation décomplexée le mettant en valeur lorsque galvanisé, il multipliera ensuite les exploits surhumains. On est également assez éloigné des déesses aux formes généreuses des couvertures de pulps avec la princesse de Barsoom jouée par Lynn Collins. Là encore, en dépit de tenues affolantes dignes du bikini de Carrie Fisher au début du Retour du Jedi, Stanton capture sa beauté avec une sobriété et une élégance qui ne distraient pas du conflit intérieur du personnage, femme éduquée et contrainte de choisir entre sauver son peuple et épouser un homme qu’elle déteste.
Ces enjeux intimes donnent consistance à un univers à l’esthétique foisonnante. On reprochera sans doute à Stanton de délivrer un visuel peu original, qui le rapproche fortement de Star Wars (l’ambiance péplum spatial de La Menace Fantôme et L’Attaque des clones vient plusieurs fois à l’esprit), mais c’est bien Lucas qui a pillé cet héritage pour sa création et Andrew Stanton se contente de la reproduire fidèlement, même si tout cela manque sans doute d’excès et de kitsch. L’imagerie est donc fortement exotique et orientale dans les décors et costumes de cette planète désertique et brûlée par le soleil. La mise en scène de Stanton se fait ample et énergique pour capturer les exploits de John Carter, notamment sa capacité à effectuer des bonds prodigieux grâce à la gravité décuplant ces aptitudes physiques avec nombre d’affrontements furieux. Ceux-ci comme toujours gagnent en intensité en convoquant les sentiments : la catharsis du héros affrontant un armée à un contre cent, les mœurs spartiates du peuple Thark qui disparaissent pour un simple rapprochement père/fille en plein combat (Willem Dafoe et Samantha Morton, fabuleux dans une prestation en motion captures similaire aux Nav’i d’Avatar), un final épique où l’intensité des batailles spatiales des Star Wars n’est pas loin. C’est pourtant dans le long épilogue d’une grande poésie et mélancolie que la magie fonctionne définitivement, justifiant la narration en flashback (avec un joli clin d’œil à Edgar Rice Burroughs) et achevant la quête de son héros désormais apaisé. Devenu légende, il mérite enfin l’aura mythologique du titre John Carter of Mars qu’il retrouve dans sa totalité lors du générique de fin.
Le seul vrai défaut serait sans doute le rythme trop soutenu qui accélère trop les évènements et dilue parfois la force de certains moments dont la fameuse séquence où John défie seul une armée. On sait combien Disney tâtonna dans la manière de vendre le film. On ressent donc les coupes destinés à le réduire aux 2h20 d’un format classique, propice aux séances quotidiennes. En attendant un director’s cut qui en fasse un classique SF, on a déjà un excellent film dont on espère le succès, pour savourer de futures adaptations tout aussi réussies de Jack Vance, Frank Herbert (Stanton glisse d’ailleurs un joli pastiche du Dune de David Lynch, saurez-vous le retrouver ?) ou Dan Simmons.