J’attends quelqu’un

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On attend tous quelque chose ou quelqu´un dans la vie, mais par exemple ne s´est-on jamais vraiment posé la question de savoir combien de fois ? Le français regorge d´expressions toutes faites qu´on emploie sans vraiment y réfléchir : >, >, >, >, >, >,… Liste non exhaustive certes, et Jérôme Bonnell, dans ce nouveau […]

On attend tous quelque chose ou quelqu´un dans la vie, mais par exemple ne s´est-on jamais vraiment posé la question de savoir combien de fois ? Le français regorge d´expressions toutes faites qu´on emploie sans vraiment y réfléchir : << j´attends le train >>, << j´attends le dégel >>, << j´attends que ça passe >>, << j´attends un enfant >>, << j´attends quelqu´un >>, << je ne m´y attendais pas >>,… Liste non exhaustive certes, et Jérôme Bonnell, dans ce nouveau film mélancolique, se complait à montrer des gens en attente, pris comme ça, dans la foule des solitudes anonymes, quelques jours ou quelques mois, et qui attendent tous quelque chose ou quelqu´un.

Jean-Pierre Darroussin définit bien cette attente en décrivant le personnage qu´il interprète : << Il attend une motivation pour se consacrer, pour ne pas avoir que lui dans sa vie. Ce qui arrive à Louis est banal mais cruel : avec Sabine, il a trouvé quelqu´un, mais il se trouve qu´elle ne l´a pas trouvé lui... C´est la même chose pour les autres personnages. Stéphane avait trouvé quelqu´un, il avait même trouvé un enfant, mais il a déconné. C´est la vie ! Ce n´est pas forcément quand on trouve quelqu´un qu´on est prêt à accepter d´avoir trouvé. Quant à Agnès, la soeur de Louis, elle n´attend pas quelqu´un : elle attend de quelqu´un.(...) >>

Des gens qui attendent, en fait, que leur vie change, que le monde leur sourit. Et ce n´est pas pour rien que le film est construit sur deux attentes : une arrivée et deux départs. Au début, Stéphane attend sur le bord d´une route qu´on le prenne en stop. À la fin du film, lorsqu´il décide de repartir, il attend le train tout comme Sabine qui, enceinte, décide elle aussi de partir. Ils ne savent pas encore qu´ils se rencontreront dans ce train. Un regard échangé entre ces deux personnes que la vie a brassées en dit long, et sur cette histoire, et sur l´intention du cinéaste qui dit avoir choisi délibérément cette fin ouverte. Autre ouverture du film, c´est l´entrée dans le bistrot de la femme aux chiens qui traverse sans arrêt le film et qui finira par entrer dans la vie de Louis au moment où il ne s´y attendait plus, lui qui aime une prostituée et qui désire toutes les femmes qui passent, en contrepoint à sa solitude viscérale.

Film mélancolique, tendre et intimiste, J´attends quelqu´un tisse en fait trois histoires dans un même petit village de Seine-et-Marne qui ne sera jamais nommé. Jérôme Bonnell, à qui l´on doit déj à deux longs métrages, Le Chignon d´Olga et Les Yeux clairs (Prix Jean Vigo 2005), se défend d´avoir voulu faire ici un film choral à la manière de certains films français contemporains. Il réalise simplement un film humain et tendre, dans lequel les sentiments semblent être ceux de la vie, ressentis par ceux que la tristesse de leur existence tourmente sans les désespérer, ceux qui ont raté des coches et qui attendent pourtant que le ciel se dégage, en s´arrangeant avec leur destinée.

Voici pourquoi on pense quelquefois à Tchekhov et sa mélancolie diffuse avec ce troisième film aux acteurs intelligemment choisis : Darroussin à cause de Feux rouges de Cédric Kahn, Emmanuelle Devos pour La Sentinelle de Desplechin, Florence Loiret-Caille déjà présente dans Le Chignon d´Olga, Nathalie Boutefeu complice des premiers films et Sylvain Dieuaide découvert par le réalisateur aux cours Florent. Et ainsi, avec cette grâce et cette pudeur rares dans le cinéma français actuel, Jérôme Bonnell se donne comme l´avenir radieux de notre production hexagonale.

Titre original : J'attends quelqu'un

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Durée : 95 mn


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