J’ai rencontré le Diable

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Un agent secret aveuglé par la vengeance pourchasse un serial killer de la pire espèce : qui sera le plus sadique ? Après « Old Boy » et « The Chaser », la Corée nous envoie un nouvel uppercut esthétique et moral. Un chef-d´oeuvre pour ceux qui ont le coeur bien accroché.

J’ai rencontré le diable est l’histoire d’une confrontation sordide : l’agent secret Soo-Hyeon met tout en œuvre pour retrouver l’assassin de sa fiancée, Kyung-Chul, un monstrueux serial-killer qui découpe ses victimes. L’originalité du film vient du fait qu’il ne tarde justement pas à lui mettre la main dessus : au lieu de le livrer la police, notre « héros » va s’acharner à faire souffrir sa proie, autant que sa fiancée a souffert. Acculé, le psychopathe va malgré tout montrer les dents et ne pas se laisser faire…

Il y aurait un intérêt certain à se pencher un jour sur la représentation de la violence dans le cinéma sud-coréen, symbolisée par le Old Boy de Park Chan-Wook. Si tous les thrillers n’ont pas, loin s’en faut, la même maestria que celui-ci, ils partagent avec lui ce besoin de montrer la violence sous son visage le plus paroxystique, le plus profondément cruel, pour provoquer la réaction du spectateur. Empathie avec les prostituées victimes des coups de marteaux d’un serial-killer (The Chaser), dégoût, avec l’autopsie hyper-réaliste d’une malheureuse découpée en morceaux (No Mercy), fascination face à la soudaine folie d’une femme battue (Bedevilled). Les exemples se multiplient, d’autant plus que ce type de films rencontre un succès incroyable auprès des Coréens (The Man from Nowhere, 1er au box-office en 2010).

La vengeance est un plat qui se mange…petit à petit

Dans J’ai rencontré le diable, la vengeance est une fois de plus au cœur de l’histoire, thème incontournable qui justifie ces explosions de brutalité dont le réalisateur Kim Jee-Won est déjà coutumier : cinéaste versatile mais esthète surdoué, ce dernier avait signé en 2005 A bittersweet life, où il révélait le beau gosse Lee Byung-hun au public occidental.

Pas de fusillades sanglantes sous influence « Wooiennes » ici, pourtant. Plus que du polar, J’ai rencontré le diable tient du film d’horreur, tant il convoque des figures et motifs typiques du genre (armes blanches, mutilations, angoisse nocturnes, figures du Mal perçues comme de véritables ogres modernes). Kyung-Chul, incarné par Choi Min-Sik (dans son premier grand rôle depuis… Old Boy) nous est montré comme un croquemitaine effrayant, un psychopathe affranchi des contraintes de la vie en société, qui tue sans remords tous ceux qui peuvent le gêner ou croiser sa route. Rustre, grossier, mû par un instinct animal, Kyung-Chul est à la fois présenté comme le Mal incarné, et un produit de son époque.

Rien que des hommes

C’est là que se situe l’intelligence du film, qui baigne du premier au dernier plan dans une ambiance délétère autant que dépressive : en opposant un monstre à un représentant de l’ordre (Lee Byung-Hun) dont le masque d’impassibilité cache mal la lueur de folie dans son regard, Kim Jee-Won brouille petit à petit les pistes, abolit la frontière entre bien et mal. À la manière de Friedkin, c’est l’ambiguité qui prédomine : dans ce jeu du chat et de la souris où chaque faux mouvement se solde par une mort ou une mutilation, ce sont leurs actes qui définissent les personnages. Kyung-Chul et Soo-Hyeon, bien sûr, mais également leur entourage, emportés malgré eux dans cette spirale où aucun sévice n’est trop fort pour ne pas être infligé.

En renvoyant tout le monde dos à dos, J’ai rencontré le diable pose cette question inconfortable : avons-nous, chacun, cette violence latente en nous ? Pourrions-nous dans des cas extrêmes appliquer nous-mêmes la justice plutôt que de s’en remettre à celle de notre société ? Et lorsque celle-ci serait appliquée, qu’est-ce qui remplirait ce vide soudain créé, sinon le poids de cette responsabilité ? L’actualité nous apporte tous les jours des exemples de ces cas extrêmes : d’un côté, les crimes brutaux, la perte d’un être cher ; de l’autre, la douleur insondable des proches, le sentiment général d’injustice… Si on en a les moyens, la vengeance est à portée de tout le monde. Et elle n’engendre rien d’autre que la détresse, et l’anéantissement de soi.

Folie furieuse

Même lorsque le sang ne coule pas, le jeu possédé des comédiens, les jeux de lumière impressionnants de Lee Mogae et la mise en scène opératique de Kim Jee-Won mettent mal à l’aise. Le film de vengeance annoncé, et les ingrédients qui vont avec (suspense, rebondissements, confrontations, climax) sont comme parasités par la tristesse qui émane des actes perpétrés par le bourreau et son chasseur. Plus que la vengeance, c’est sans doute la folie qui est le thème fondamental de J’ai rencontré le diable, témoin cette scène où Kyung-Chul attaque les passagers d’un taxi dans un plan-séquence circulaire où la caméra devient aussi incontrôlable que le personnage.

Alors oui, la violence de J’ai rencontré le diable pourra faire débat, voire dégoûter, mais c’est précisément son but. Kim Jee-Won, contrairement à Park Chan-Wook, n’a pas de discours clairement établi d’auteur, et son talent indéniable se mesure généralement à l’aune de son opportunisme commercial. Mais il s’est cette fois surpassé pour donner du souffle et une vraie résonance à cette histoire sordide. Les meurtres y sont certes montrés avec un esthétisme appuyé, mais ses conséquences ne sont pas pour autant oubliées, bien au contraire. Le plan final (dont la longueur a varié entre la version coréenne et le director’s cut international) fait figure, en cela, de véritable note d’intention.

Titre original : Akmareul boatda

Réalisateur :

Acteurs : ,

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Durée : 142 mn


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