In memoria di me

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Que doit-on faire en mémoire de Christ ? La question, et quelle question !, est posée en période post-pascale et je me sens bien infichu d’y répondre aujourd’hui. Et surtout pas après avoir vu ce très beau, mais tyrannique, film. Parce que ce qui taraude le réalisateur, Saverio Costanzo dont c’est le quatrième long métrage, […]

Que doit-on faire en mémoire de Christ ? La question, et quelle question !, est posée en période post-pascale et je me sens bien infichu d’y répondre aujourd’hui. Et surtout pas après avoir vu ce très beau, mais tyrannique, film. Parce que ce qui taraude le réalisateur, Saverio Costanzo dont c’est le quatrième long métrage, plus que la question de la foi, c’est celle de l’humain. Il plante sa caméra dans un monastère jésuite, dans l’île San Giorgio Maggiore à Venise, ce lieu calme et retiré flotte comme un grand bateau qui en croise d’autres, que l’on voit passer devant les fenêtres. Et cela confère à ce film étrange encore plus d’étrangeté. Ceux qui se demandent comment on peut encore croire aujourd’hui ne trouveront bien sûr pas de réponse en sortant de la salle, pas plus que ceux qui croient car, en fait, le réalisateur qui est aussi scénariste se pose ici la question du silence. Film silencieux, pour ne pas dire quasi muet (sauf pour les passages où le supérieur s’adresse aux novices réduits au mutisme et au recueillement), envahi par de la musique pas toujours religieuse, In memoria di me interroge de ce fait le cinéma contemporain, comme le firent Duras et Monteiro avec des films en noir et sans images. Comment filmer la foi ? Comment filmer le silence ? Comment filmer le doute ?

Et comment montrer la déréliction de notre modernité qui met en scène des sociétés dans lesquelles de beaux jeunes gens, élégants et très intelligents, se retrouvent finalement bien seuls et éternels adolescents, face au questionnement existentiel, poussés à rechercher une réponse par exemple au couvent, pris en fait comme métaphore de la vie telle qu’elle devrait être. Parce que notre société fait trop de bruit, se divertit trop, se perd dans l’apparence, parce que ses enfants n’ont plus ni maîtres spirituels, ni modèles à suivre, parce que le cinéma est trop parlant, il nous faut du silence. Comment ne pas penser au dernier film de Federico Fellini, qui éclaire encore par sa prescience et son aspect visionnaire tout notre monde perdu qui va à la dérive ? En effet, dans le brouhaha de la boîte de nuit géante de La voce della luna, le personnage central du film, sorte de double du Maestro, réclame enfin un peu de silence pour pouvoir enfin comprendre quelque chose. Cette retraite, qu’on proposait naguère aux jeunes lycéens pendant quelques jours, est une méthode difficile mais efficace pour parvenir à voir plus clair en soi-même et dans la société. Ce monde opaque qui nous entoure a besoin d’être décrypté, ou mieux d’être absorbé pour qu’on puisse vivre en paix, et non chanté, disséqué, publicisé, ou encore dansé.

Assez de mouvement ! Au couvent, le lent déplacement des novices qui ne se parlent jamais développe une sorte de magie tout au long du film, d’autant que le lieu (magnifique couvent vénitien historique) devient un personnage à part entière, et notamment la porte de l’infirmerie, le bureau du supérieur et, par-dessus tout, le long couloir qui change d’aspect selon les heures de la journée ou de la nuit, avec sa fenêtre en forme de rosace de cathédrale qui s’ouvre sur ciel et lagune. Ce film, sur la crise existentielle, n’est pas d’un accès facile, mais pour qui saura le regarder de bout en bout, il changera un peu la vie, un peu comme si, à l’instar du réalisateur, vous aviez fait une retraite dans la maison d’Ignace de Loyola. Croyant ou athée, je pense que nous avons tous le besoin urgent de « faire un peu de silence ». « In memoria di me, déclare Saverio Costanzo, parle de l’obstacle à franchir pour atteindre la foi absolue, en particulier pour les gens qui se consacrent exclusivement à Dieu. » Cette expérience, qui n’a rien de pascalienne, regorge pourtant de chausse-trappes car il est bien difficile de se connaître soi-même et de résister au modèle social ambiant, qu’il soit bling-bling ou bobo.


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