Nouvelle Vague ?
Ce premier long-métrage – après nombre de courts-métrages qui tournent tous autour de l’observation du monde et des gens – scellera-t-il la naissance d’une nouvelle Nouvelle vague ou sombrera-t-il très vite dans l’oubli ? On ne saurait le dire précisément. Il a prodigieusement agacé certains de mes collègues si bien qu’il m’a fallu de la détermination et de la conscience professionnelle pour rester jusqu’au bout. C’est en effet un Ovni, agaçant par moment, surprenant à d’autres, et sur lequel il est difficile en fait de se faire une opinion. De quoi s’agit-il ? De la vie d’un village corse en été près d’Ajaccio, plus exactement Tolla, 400 habitants l’été, situé dans la vallée du Prunelli, mais ça pourrait être ailleurs, sauf peut-être sur la Lune, où le réalisateur s’est amusé à filmer de loin, avec de longs plans fixes, des gens dont on n’a pas le mode d’emploi et qui discutent ou se disputent, ou s’aiment, ou les trois à la fois. C’est pas tellement foutraque, ni hellzapopinesque, ni même drôle. On a l’impression qu’on a renversé un puzzle et qu’on doit reconstituer ces histoires, avec des personnages qui passent et qui nous livrent une part de leur vie ou de leurs envies. Mais ils sont bien en vie.
Long plans fixes
La plupart du temps, soit parce qu’ils parlent corse, soit parce qu’ils sont trop loin, on ne comprend pas grand-chose. Si c’est énervant au début, on s’y fait très vite et peu importe ce qu’il se passe car, en fait, il ne se passe pas grand-chose, tout simplement ce qui se passe dans toute vie quand on est en vacances l’été, dans un village isolé et qu’on tente d’échapper à une sorte d’ennui métaphysique. Une naïade nue s’exhibe à sa caméra pour un habitant pas très éloigné qui se masturbe en la regardant sur son écran ; deux copains qui se battent on a oublié pourquoi ; un jeune et beau black qui s’occupe tendrement d’une grand-mère invalide ; des potins, des discussions à l’heure de l’apéro ; la fête du village ; l’ennui, la déréliction, etc. Le film s’appelle donc I Comete, ce qui lui confère un certain mystère mais qui n’est que le titre corse d’un film qui aurait pu s’appeler Les comètes et qui aurait alors perdu toute saveur. Les comètes apparaissent puis disparaissent, c’est leur destin pourrait-on dire, tout comme ces personnages qui se croisent et n’ont pas vraiment grand-chose à vivre ensemble, sinon une sorte d’ennui métaphysique que la beauté de certains paysages – rares au demeurant, il faut bien le souligner – rend encore plus étrange et déplacé.
Le jeu – ou le non-jeu – des acteurs
Servi par des acteurs professionnels et non professionnels, le film le plus singulier de l’année, s’il en déçoit certains en émoustillera d’autres, tel est le destin d’un film. Et quelle est la fonction de la critique, sinon de dire que l’image est assez belle : elle est signée Javier Ruiz Gómez (Femis, promotion 1999) qui a signé récemment l’image de Oranges sanguines de Jean-Christophe Meurisse (2021). Le scénario est du réalisateur lui-même et il peut tenir en deux lignes. Quant aux producteurs, 5à7 Films, Lotta Films, on se demande encore comment ils ont voulu mettre un kopeck dans ce film. Restent les acteurs du film qui font ce qu’ils peuvent, sauvant certaines répliques, ou les ânonnant mais on y retrouve parfois beaucoup de Jean Eustache et un peu de Robert Bresson. Et c’est eux qui portent ce film maladroit mais accoucheur qui sait d’un nouveau style, made in Corsica ? « Tous les acteurs sont des individus différents, quel que soit leur âge, ce qui compte c’est de trouver les bons mots à chacun pour faire passer son intention, déclare le réalisateur dans le dossier de presse du film. Et surtout la notion de plaisir, il faut qu’ils prennent du plaisir à jouer. Si un acteur ne prend pas de plaisir c’est que j’ai mal fait mon travail. Mais parfois, comme disait un ami de Jean-Noël Picq : « Mon cher, pas de plaisir sans peine ». »