Hommage à Pierre Étaix

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Le Champo rend hommage, à partir du 9 novembre, au regretté Pierre Étaix, cinéaste cher à notre rédaction. Il Étaix une fois une belle histoire…

La douceur d’un Hulot, la placidité d’un Buster Keaton, l’élégance d’un Max Linder et le cœur d’artichaut d’un Charlot… Pierre Étaix était un mélange de tout cela, mis au service d’un cinéma naïf, hilarant et parfois grinçant. En 2010, nous nous étions indignés face à l’injustice et avions pris la défense de Pierre Étaix, puis, bientôt soulagés, avions enfin respiré en assistant, à ses côtés, à une première rétrospective intégrale de son œuvre – ainsi que plus tard, à sa sortie en coffret DVD. Depuis, les films circulaient enfin à nouveau, Pierre Étaix avec, répondant aux invitations multiples des cinéphiles du monde entier, jusqu’à ce jour maudit du 14 octobre où, affaibli par la maladie, Pierre Étaix nous quittait. Remercions Carlotta et Le Champo de nous permettre de lui rendre un dernier hommage.

Re-découvrir une filmographie inédite, jadis privée de diffusion sur les écrans pendant près de vingt ans suite à des imbroglios judiciaires et qui a failli finir en bouillie d’acétate sans une bonne restauration, a quelque chose de particulièrement excitant. Une joie indicible à vrai dire. C’est donc avec hâte que nous suivrons dès le 9 novembre la seconde rétrospective intégrale des films de Pierre Étaix au cinéma Le Champo, comprenant cinq longs métrages, Le Soupirant (1962), Yoyo (1964), Tant qu’on a la santé (1965), Le Grand amour (1969) et Pays de Cocagne (1969), et trois courts, La Rupture (1961), Heureux anniversaire (1961) et En pleine forme (1971).

 

    



Dans l’ombre de Tati ? Taratata !

Qui dit burlesque français dit Jacques Tati. C’est sûr, Pierre Étaix bénéficiait d’une notoriété moins grande que le réalisateur de Playtime (1967). Mais on l’oublie souvent, Étaix a contribué à définir la silhouette de Hulot pour Mon oncle, en 1958 (voir le magnifique livre de Francis Ramirez Étaix dessine Tati regroupant les croquis des gags, des décors et des personnages du film). Il était temps de rendre à Étaix ce qui appartient à Étaix ! Car le réalisateur de Yoyo est un poète, un magicien, un gagman et un comédien remarquable. Jerry Lewis ne s’y était pas trompé : « Deux fois dans ma vie, j’ai compris ce qu’était le génie : la première fois en regardant la définition dans le dictionnaire, et la seconde fois, en rencontrant Pierre Étaix ».

Pierre Étaix incarnait à l’écran des personnages lunaires, des rêveurs au cœur tendre. Rêvant à quoi ? Aux femmes bien sûr ! L’amour est le principal sujet des scénarios co-écrits avec Jean-Claude Carrière et les titres sont assez explicites (La Rupture, Le Grand amour ou Le Soupirant). C’est l’amour qui pousse le richissime comte de Yoyo à quitter son confort pour une vie circassienne des plus modestes (Étaix partage avec Tati la passion du cirque et du music-hall), c’est l’amour encore qui motive le personnage de Pierre épris de sa jeune et jolie secrétaire à travailler même le samedi dans Le Grand amour. Contrairement à Hulot, les personnages d’Étaix sont « incarnés », moins velléitaires. Ils aiment et le montrent, que ce soit dans le fantasme (des séquences hilarantes d’entraînement virtuel à la drague dans Le Soupirant, grâce à d’habiles glissements de points de vue) ou dans la trivialité du quotidien de la roulotte du couple de saltimbanques dans Yoyo (hommage manifeste à La Strada de Fellini). Il faut dire qu’avec sa silhouette fine, son complet noir sur-mesure, son visage mince, ses yeux langoureux, ses cheveux noirs et son chapeau légèrement de guingois, Pierre Étaix est un romantique, un vrai dandy au physique taillé pour les rôles d’amoureux transi. Amoureux oui, mais maladroit forcément. Rien ne se passe vraiment comme il le voudrait. Lorsqu’il fait les yeux doux à une jeune femme dans un club, c’est au gros moustachu de la table voisine à qui il fait du pied ; lorsqu’il joue les gentleman, il tombe sur une extravertie sotte et soûle, dont il aura bien du mal à se débarrasser. Même une simple rupture par courrier tourne mal : l’encre coule à flots sans qu’il ait écrit une ligne, les timbres restent collés à la table qui elle, ne reste pas longtemps debout.

 

    

 

Étaix joue avec les codes du genre : mouvements des objets intempestifs, chutes (quoique rares), running gags, quiproquos, trompe-l’œil, utilisation du son et du bruitage comme adjuvants comiques (surtout dans Yoyo, vibrant hommage au cinéma muet), et cætera. Mais ce qui distingue surtout les films de Pierre Étaix, de ceux de Tati par exemple, c’est l’utilisation de la caméra en tant qu’élément burlesque à part entière. Le plus bel exemple reste Insomnie, un des quatre tableaux de Tant qu’on a la santé. Le personnage incarné par Pierre Étaix ne trouve pas le sommeil, il se donc met à lire un livre type Dracula (Bram Stoker, 1897). Deux espaces-temps sont mis en scène, celui de la chambre et celui de la narration, le premier influençant l’autre à l’écran. Lorsque l’insomniaque tient distraitement le livre à l’envers, le vampire et sa victime le sont aussi à l’écran. Une scène est montrée deux fois : l’insomniaque a lu deux fois la même page par inadvertance. Pierre Étaix, c’est une efficacité du gag (même naïf ou littéral), ciselé et rythmé, alliée à une réflexion sur le médium lui-même.


Courage, fuyons !

Pierre Étaix a observé ses contemporains et pris un malin plaisir à se moquer des travers de la société moderne. Dès Le Cinématographe, il parodie le langage publicitaire pour vanter les mérites de produits absurdes tels qu’une bombe/grenade à tout faire (l’image n’est pas anodine), des lunettes invisibles dans une séquence de mime drôlissime, le tout servi par des répliques déclamées en cœur par la famille parfaite.

Il s’en prend avec humour aux nuisances visuelles et sonores de la ville : les immeubles bétonnés qui poussent comme des champignons dans Pays de Cocagne, les vibrations des marteaux-piqueurs et autres tractopelles dans Tant qu’on a la santé, qui parasitent les rapports humains, envahissent les intérieurs des citadins mais perturbent surtout la « bande son » du quotidien. Les travailleurs modernes sont montrés comme une masse pressée et vorace qui happe tout – gens et objets – sur son passage. Et comme pour se persuader qu’on vit une époque formidable, les autocollants placardés sur les vitres des voitures ordonnent de sourire. C’est aussi avec beaucoup d’ironie que Pierre Étaix intitule son dernier long métrage Pays de Cocagne, alors qu’il y montre la France profonde, celle qui arbore des bobs Dunlop, fait des radios-crochets et des concours de tartinage de Vache qui rit. Réalisé à partir d’images documentaires glanées en suivant la tournée du podium d’Europe 1, le film – véritable ovni dans la filmographie d’Étaix – renvoie avec une certaine violence l’image d’une société française en plein tournant consumériste.

Prendre la poudre d’escampette par une voie dérobée comme dans En pleine forme, partir sur le dos d’un éléphant comme dans Yoyo, s’enfuir sur un lit roulant pour vivre un amour interdit comme dans Le Grand amour, sont autant de façons pour Pierre Étaix d’échapper avec poésie et onirisme à une condition, un quotidien déterminé par des codes. Une forme de douce résistance…     

 

    

« Hommage à Pierre Étaix », au cinéma Le Champo, à partir du 9 novembre 2016 – Rétrospective intégrale en version restaurée.


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