Funny People : des feux sans amour

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Plat, sans relief, Funny People, troisième film de Judd Apatow comme cinéaste, est avant tout la compile des carences d’un cinéma franchement surestimé.

La vision du troisième long métrage réalisé par Judd Apatow, en plus de mettre davantage en lumière les très évidentes limites de ce cinéma – jusqu’ici partiellement masquées par la pertinence initiale des sujets (déniaiser un quadra ; passer de geek à jeune papa) – trop tôt qualifié de «  renouveau de la comédie américaine », éveille, en prolongement de la critique officielle publiée la semaine dernière, le désir d’une approche compartimentée de ses spécificités. Moins attaque en règle que tentative de mise en place d’une réflexion critique basée sur ce point précis : qu’est-ce que ça vaut au juste, Funny People, du strict point de vue du « cinéma » ?

Les femmes

Cette fois encore, force est de constater que le cinéma de Judd Apatow ne semble pas disposé à offrir aux jeunes femmes accompagnant la confrérie des geeks – ou même de leurs aînés, représentés ici par la star du stand-up, Georges Simmons – le bagout nécessaire à la mise en route de battles dignes de ce nom. Il faut dire que la guerre des sexes n’aura sans doute jamais lieu dans ce cinéma. C’est peut-être une bonne nouvelle (cela voudrait sans doute dire que pour lui, la question d’une coexistence pacifique homme / femme n’est pas un problème, que dans son monde à lui, le respect des nanas par les mecs ne serait plus objet d’une quelconque quête ou revendication égalitaire… sauf que…

… sauf que non, cela serait trop facile). Ce qui crève surtout les yeux, plus encore dans ce film que dans les deux autres (il faut au moins reconnaître à certains films seulement produits ou scénarisés par Apatow, dont le très subtil Sans Sarah rien ne va !, une plus grande inspiration, au niveau de la « représentation » des caractères féminins), c’est que les filles ne sont davantage que de purs objets de discours (on en reparlera), sinon de simples faire-valoir. Prenons le personnage de Daisy (Aubrey Plaza), la brunette à lunettes convoitée à la fois par Ira (Seth Rogen) et son coloc’, Mark Taylor (Jason Schwartzman le beau gosse). Surprise par le premier en flagrant délit post coïtum, cette dernière se révèlera inapte à consister au-delà d’une très sérieuse revendication de non exclusivité. En gros : à quoi bon faire une scène (à tous les sens du termes) du fait de ne pas avoir respecté le délai de onze jours fixé en début de film par les deux potes, vu qu’il était de toute manière évident que Mark avait en tête de se la faire quand même ? Progressisme que cette lucidité de la jeune fille quant aux fondements même d’une certaine charte d’amitié masculine ? Égalitarisme que ce consentement à être l’objet d’un pari, sachant qu’au final, c’est par ce consentement que l’on en arriverait à la conclusion que la personne baisée n’est finalement pas celle que l’on croit ? Esquive paresseuse de la question commune du sexe (ces personnages parlent plus de cul qu’ils ne sont sexués) et des sentiments, plutôt. Ce qu’il faut dire, c’est que si le cinéaste avait vraiment le souci de donner matière à ce triangle « amoureux », il en aurait fait davantage qu’un maillon de la chaîne principale que doit rester l’envahissante histoire de Georges Simmons.

                                                                                                   

En ce qui concerne Laura (Leslie Mann), le grand amour de Simmons, si sa présence et son potentiel « dramaturgique » sont quantité moins négligeable, embarrasse assez vite l’idée que celle-ci n’existerait qu’au travers d’un regain d’intérêt tout circonstanciel du comique comme de son mari (Eric Bana, plutôt pas mal, dans le registre du patriarche un peu bourrin), d’une assez molle démonstration de virilité (cf l’horrible séquence de baston). Car les filles ne sont ici que le prétexte d’une situation des personnages mâles quant à leur orientation sexuelle. Pour dire les choses plus directement : vu que nos amis passent leur journée à se traiter de pédés, en sachant pertinemment qu’aucun d’entre eux ne l’est réellement, autant placer ici et là dans leur trajectoire l’élément le plus susceptible d’attester immédiatement de leur hétérosexualité : deux-trois bimbos d’une nuit, un amour de jeunesse, une potentielle girlfriend singulièrement next door… Rien d’antipathique cependant dans cette inaptitude du cinéaste à installer un monde où hommes et femmes seraient faits d’une matière commune, juste le constat d’une limite esthétique et scénaristique invitant à revoir ne serait-ce que légèrement à la baisse cette réputation d’innovation encore assez discutable : à quand une vraie comédie du remariage sauce Apatow ?

Les gays

Pour affirmer à longueur de vannes leur statut d’hétéros, les personnages de Funny People accumulent les private jokes qui, si l’on ignorait les engagements démocrates du cinéaste, pourraient à la longue interroger par leur caractère, sinon homophobe, dans tous les cas lourdement répétitif quant à la question. En effet, que penser de cette bande de gaillards pour qui traiter son meilleur pote de « gay » apparaît comme un sport quotidien ? Si au moins ces vannes étaient soutenues d’une quelconque nuance, d’une ambiguïté amenant à ne serait-ce qu’interroger réellement l’un des personnages sur la potentialité d’une sortie de route (comme certains sitcom, parmi les meilleurs, ne manquent jamais de le faire), la possible remontée d’un refoulé redistribuant les cartes de la vieille complicité masculine… Mais non, rien de tout cela dans un film où de toute manière, les mots, au fur et à mesure qu’ils fusent et circulent, épuisent par leur foncière inconsistance. Nulle mise en scène du dialogue, ici, requérant du spectateur davantage qu’une assez molle écoute. Nulle adresse à un extérieur, peu de blanc entre deux répliques. Tout le monde parle la même langue, partage un commun débit (voyez comme le personnage du médecin suédois, au départ irrité par les vannes insistantes de Georges et Ira sur le caractère inquiétant de son accent, finit par lui même entrer dans la danse des punchlines sympas), ce qui forcément atténue un peu l’idée même d’altérité. C’est peut-être qu’il ne faut pas chercher à tout prix de mauvaises intentions dans un cinoche s’annonçant dès le départ comme foncièrement « cool », apolitique, libre de toute justification quant au sens de ce qui s’y dit à longueur de séquences.

                                                                                                    

Le sexe

Si la question de l’homophobie ne doit donc peut-être pas se poser, dans un film se voulant exempt de tout appel à l’inconnu, sans doute peut-on au moins se pencher un peu sur celle du rapport au sexe. Comme relevé plus haut, le sex appeal n’est pas ce qui caractérise le plus les personnages de Funny People (contrairement à celui du puceau, qui dans la première partie du film éponyme découvrait au fur et à mesure les miracles de la séduction ou même à celui de Seth Rogen, qui mine de rien parvenait à se taper une vedette assez canon de la télévision dès le premier soir). Certes Georges, à la faveur de sa tchatche légendaire, fera à Ira une cruelle démonstration de la manière adéquate d’attirer une fille a priori « fiancée » dans son lit. Mais force est aussi de reconnaître que non seulement ces quelques scènes de cul sont assez vite expédiées (à peine dix secondes par fille, le temps d’exposer au passage, ni vu ni connu je t’embrouille, une paire de seins ou de fesses), mais surtout que l’acte de baiser n’est précédé d’aucune montée notable du désir. Georges les fait certes crier au lit, mais n’est jamais confronté au doute quant à la réalité de cette puissance sexuelle : une star est forcément une bête de sexe, c’est bien connu. Restera alors au brave Ira, vanneur de tous les jours dont le potentiel de succession à Georges est encore incertain, à prendre acte de l’humble démonstration de son mentor.

La mort

On oubliait de le préciser : Funny People est au départ un film sur la mort. Plus précisément la remise en question de son art par un homme ayant fait carrière de la relativisation du réel par le rire, face à l’imminence d’une mort annoncée (on lui a diagnostiqué une maladie incurable). Le sujet de la confrontation de l’humour à la mort n’est bien sûr pas inédit, et l’on se souviendra notamment du virevoltant Man on the Moon, de Milos Forman (2000), offrant à Andy Kaufmann, star du rire des années 70 / 80 idéalement incarnée par Jim Carrey, la latitude nécessaire à l’expansion de sa figure, l’épanouissement aux deux extrémités du film d’une critique joyeuse et féroce de la société du spectacle. Un rictus mêlé d’émotion prenait corps au fur et à mesure que l’on voyait le personnage repousser ses propres limites, alors qu’apparaissaient les premiers symptômes de son épuisement. Entre force et faiblesse, Kaufman devenait affaire de pure et simple mise en scène (dans toutes les acceptions du terme), de réalisation. Quelque chose de semblable se laisse certes entrevoir, à un moment de Funny People, lorsque les représentations de Simmons se teintent de manière de plus en plus évidente d’une inquiétude profonde quant sa légende, sa prospérité. Nombreux sont les exemples de comiques (à commencer par les français, si l’on se réfère aux cas de Pierre Desproges, Thierry Le Luron ou encore Elie Kakou) dont l’annonce du soudain décès incita à revoir post-mortem les derniers sketchs et apparitions publiques d’un œil plus attentif, à l’affut des signes enfouis d’une référence à l’épuisement ou la maladie. La beauté de cette partie de Funny People repose sur l’espoir – vite déçu – de voir le public de Simmons se rendre compte du message à peine dissimulé dans ses soliloques et requiems. Hélas, ce public ne se résumera tout du long qu’à une masse informe – semblable à toutes les autres –, unanimement réactive et définitivement acquise. On passera sur l’insupportable séquence de révélation par Simmons de sa maladie à ses proches… ainsi que sur la suite.

                                                                                               

Le Cinéma

La question n’est d’ailleurs au fond pas tant d’ordre thématique (après tout, nombre de films plaisants partagent les limites « politiques » de ce Funny People) que bêtement « artistique ». Ce qu’il faut surtout relever, c’est que Funny People, en plus d’être d’une longueur excessive, au vu de sa vacuité et de sa terrible absence de rythme, est d’une laideur monstre, d’une peu négligeable pauvreté, du strict point de vue de la mise en scène. Il est plus qu’évident que c’est parce-que Judd Apatow se révèle ici, plus que jamais, très peu soucieux de la manière de construire ses scènes, d’édifier pas à pas son récit que le besoin de le désosser, le compartimenter s’est fait sentir. Moins d’antipathie que d’ennui profond, devant Funny People, de la lassitude devant un univers finalement très restreint. La fièvre ado ayant conféré à ses productions les plus réputées – telles le désormais ultra-référentiel SuperGrave (Superbad – 2007) – leur singulière force de frappe, l’inspiration partiellement autobiographique (Jason Segel, scénariste et acteur principal du film, s’est inspiré de sa propre aventure avec Linda Cardellini, héroïne de la série Urgences) faisant le prix de sans Sarah rien ne va ! (Forgetting Sarah Marshall – 2008), la mise à l’épreuve du corps (celui de Steve Carrel soumis à une hilarante séance d’épilation) donnant justement corps aux meilleurs moments de 40 ans, toujours puceau sont ici cruellement absents.

Peut-être faudrait-il, avant qu’il ne soit trop tard (on conseillera en ce sens le pertinent dossier lui étant consacré ce mois-ci dans les Cahiers du cinéma, moins strict « cassage du mythe » qu’approche avant tout critique de celui-ci) veiller à ne pas mettre la charrue avant les bœufs, en ce qui concerne l’évaluation des films d’Apatow et sa bande. Si l’importance de cette « écurie » dans le paysage de la comédie américaine contemporaine ne fait aucun doute de par l’émergence de nouveaux talents se distinguant aussi bien par leurs physiques atypiques que leur vertigineuse habileté langagière (Seth Rogen, Jonah Hill, Michael Cera…) comme de par sa surproductivité, doit accompagner le suivi de ces promesses d’autant plus d’exigence du strict point de vue cinématographique. Car c’est sans conteste sur ce terrain que pourra être élaborée sur le long terme une pensée vraiment décisive de la portée de l’« apatowisme » sur ses contemporains. De tout cela, il est clair que l’on reparlera très vite… une fois dissipée la saveur très amère du présent Funny People.

Titre original : Funny People

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Durée : 140 mn


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