Fix Me

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Dans un territoire occupé, peut-on filmer ses états d´âme ou n´échappe-t-on jamais au politique ? Raed Andoni interroge sa position de cinéaste en Palestine dans un documentaire curieux mais inégal.

Dans les années 90, Nanni Moretti et Avi Mograbi ont repensé la carte du cinéma politique. Par-delà leurs différences de style, ces deux cinéastes partageaient un même questionnement : comment tenir un discours social critique sans pour autant parler au nom d’une communauté ? Partisans d’une subjectivité radicale, ils ressentaient la nécessité de mêler l’intime au collectif, remettant le « je » au centre de leurs films et s’impliquant physiquement à l’écran. Auteurs et acteurs, ils analysaient la situation de leur pays tout comme leurs propres doutes. Dans une séquence mémorable d’Aprile, Moretti finissait d’ailleurs par en perdre le fil : « Comment dire ce que je pense dans un documentaire ? Et d’abord je pense quoi au juste ? »

En affichant « Je doute, donc je suis » comme sous-titre à Fix me, Raed Andoni s’inscrit en droite lignée de ses prédécesseurs. Dès les premières images, il apparaît en consultation chez un généraliste, rappelant les médecins de Journal intime. Le réalisateur cherche la cause de ses migraines, et décide d’entamer une psychothérapie. Ces rendez-vous hebdomadaires assurent l’unité du film, qui pour le reste trace sa route en zig-zag, comme la voiture de Raed Andoni entre deux check-points. A qui veut l’entendre, il clame que ses maux de tête sont « importants » : manière de revendiquer qu’un cinéaste en Palestine n’a pas l’obligation d’évoquer le conflit, qu’il existe en dehors des seuls problèmes de son pays. Il lui paraît vital de garder son indépendance, afin de ne pas laisser « l’occupation envahir son esprit ». De la même façon, Moretti rechignait à filmer les élections législatives, préférant songer à sa comédie musicale, tandis que Mograbi cherchait par tous les moyens à fuir la violence de son pays dans Août (avant l’explosion). Bien évidemment, le politique finissait toujours par les rattraper et Fix me ne déroge pas à la règle.
 

 
Lorsqu’il ne confie pas ses névroses au thérapeute, Raed Andoni enregistre ses conversations avec ses proches, ouvrant le débat à d’autres points de vue. Le documentaire s’enrichit à leur contact et s’éloigne d’un narcissisme un peu vain. Trois personnages servent de contrepoint au réalisateur : son jeune neveu, qui consacre sa vie au militantisme ; son ancien camarade de prison, qui ne renie rien de ses engagements passés ; enfin son électricien, qui souffre d’un cancer mais refuse de s’apitoyer sur son sort. Ces trois hommes symbolisent aussi trois générations, et leurs échanges soulèvent de vraies questions : comment évoluer sans trahir ses idéaux de jeunesse ? La résistance impose-t-elle de rester fort ou a-t-on le droit d’assumer sa faiblesse ? Raed Andoni cuisine notamment son vieil ami, qui a sacrifié les études dont il rêvait pour défendre la cause palestinienne : a-t-il eu raison d’abandonner ses ambitions personnelles au profit d’un combat pour son peuple ? Tout l’intérêt du film réside dans ces ambiguïtés, que le cinéaste prend soin de laisser en suspens.

Malgré ce postulat stimulant, Fix me ne convainc pas toujours et laisse un goût d’inachevé. Si le doute se révèle un bel enjeu théorique, il peine à trouver sa forme cinégénique. A force de réaliser un film « contre » (« je ne veux pas faire un film militant, ni imposer ce que je pense ») Raed Andoni en oublie de proposer une alternative et se contente parfois de remplir le vide : ainsi de ces plans où il se filme seul, cherchant l’inspiration devant son ordinateur. Moretti et Mograbi bénéficient de leur présence charismatique. A l’inverse, le corps frêle d’Andoni ne trouve jamais sa place à l’écran, et son jeu paraît souvent affecté, sinon poseur. En outre, ses choix de mise en scène manquent de rigueur : son dispositif, lors de la thérapie (filmée à travers un miroir, avec Ramallah en toile de fond), se voit trop souvent brisé par un montage systématique. Ses incursions dans le comique sont aussi timides, comme le gag du chameau – clairement sous l’influence d’Elia Suleiman – qui joue sur le décalage entre l’image (une autoroute) et le son (la mer) pour créer une utopie de l’autre côté du mur. Fix me donne néanmoins envie de suivre les prochains essais de Raed Andoni, qui cultive un ton plutôt rare et atypique.
 

Titre original : Fix ME

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Durée : 98 mn


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