Impressions à chaud des films vus, en vrac, dans le délice de croiser nouveautés avec films du répertoire, découvertes et films qu’on attendait, formats et durées, dans un festival de cinéphiles, les vrais, de ceux qu’on aime bien à Il était une fois.
Pour notre toute première projection, on a eu de l’instinct. Le premier film d’Estelle Larrivaz, Le Paradis des bêtes, a en effet été récompensé par le Prix du public au meilleur long métrage français. A défaut d’être aventureux, il a le mérite de tenir un casting hétéroclite (Géraldine Pailhas, Stefano Cassetti et Muriel Robin) dans une intrigue familiale tirant sur le polar. Si l’on regrette d’avoir raté Abrir puertas y ventanas, de Milagros Mumenthaler, dont tout le monde dit le plus grand bien et pour lequel les trois actrices ont reçu ex-aequo le Prix d’interprétation féminine, on a bel et bien vu Oslo, 31 août, qui sortira le 29 février prochain et s’est vu décerner le Grand Prix du Jury pour un long métrage européen.
En présentant son jury et son palmarés, Christophe Honoré a insisté sur sa volonté de primer des œuvres imprudentes, des films où l’audace de la mise en scène s’affirme dès les premières minutes. Le second long de Joachim Trier raconte le mal-être d’un homme dans Oslo, le temps d’une journée. Agglomérant la beauté ordonnée et verte de la ville aux affects de l’ancien junkie, la narration emprunte parfois à la divagation mentale du personnage principal, créant des échappées visuelles saisissantes parce que hors narration. Le résultat est sombre malgré la parfaite et harmonieuse composition de chaque plan, malgré la douce lumière. Prix d’interprétation pour Anders Danielsen Lie, jouant déjà en 2006 dans Nouvelle Donne.

Oslo, 31 août
Dans le registre des rétrospectives, c’est de la section Un rare : Alan Clarke que sont venues les plus authentiques découvertes. Et si les cinéphiles avertis vénèrent des films tels que Scum, Made in Britain ou The Firm, personne ou presque ne connaît Contact (1985). Angers a créé l’événement en organisant une projection du film, présenté par la fille du réalisateur et montré pour la toute première fois en France. Véritable rareté donc, pour un film ramassé et tout en tension sur l’absurdité de la guerre. On y suit un groupe de paras en patrouille dans la province du South Armagh, à la frontière invisible entre Irlande du Nord et du Sud, point chaud des activités de l’IRA. Clarke explore la terreur constante dans laquelle vivent les soldats, alors que s’approchent les inévitables combats. De ceux-là, on ne verra rien, ou presque : mais une bombe explose, un soldat meurt, et il faut pourtant retourner au front. Intrigue réduite à l’essentiel, peu d’action, Contact est resserré au maximum, et échappe à toute vélléité moralisatrice en centrant son propos sur l’individu. S’il rouvre bien le débat sur le conflit nord-irlandais, le film refuse tout commentaire explicite sur la situation, privilégiant la peinture des horreurs par le prisme de l’humain. Intense.

Un mot sur la rétrospective Godard, simplement baptisée "De Godard à JLG" : remontrer les films du maître, pas moins d’une trentaine, a été encore une fois l’occasion de faire le lien entre le cinéaste européen ayant certainement le plus de disciples et la jeune garde de réalisateurs venus présenter leurs films. Faire venir Anna Karina et Macha Méril pour présenter les films, voir une scène pleine pour Le Mépris, entendre encore cinquante ans plus tard des applaudissements en forme d’hommages au film culte ne dément pas la réputation de festival de cinéphiles que porte fièrement Premiers Plans.
"Figures Libres" est une sélection de premières œuvres réalisées hors contraintes et formats. Y était montré le premier long de Valérie Massadian, Nana, un pari, un des films les plus audacieux présentés cette année. Dans une campagne française, Nana vit sa vie d’enfant. Son grand-père est éleveur de porcs, et elle et sa mère vivent au creux des bois, dans une petite maison. Les plans prennent leur temps, les cadres sont fixes, la composition de l’espace est digne des expériences de photographe et de chef décoratrice de la jeune cinéaste. Sa mise en scène concentre toute notre attention sur les mouvements de l’enfant, qui grandit à la campagne. Sa découverte de la vie, ses paroles, libres, son ignorance totale de la caméra qui ne la lâche pas sont en réalité le fruit de beaucoup de travail, d’un apprivoisement patient de la petite fille.
Le résultat restitue les errements de l’enfance, les phrases sans queue ni tête, l’imagination, les maladresses et la liberté absolue de Nana. Mais l’innocence n’est pas vraiment totale, et le film se démarque d’un enregistrement béat. Dès la première scène, où les éleveurs tuent un cochon (attention, âmes sensibles…) en présence d’enfants, on est saisi par ce geste implacable, nécessaire et indifférent. La figure maternelle est elle aussi incertaine, un peu brusque, puis absente. Nana se retrouve soudain seule dans la maison, et si elle reproduit les gestes d’adultes, inconsciente de la mort autour d’elle, perpétuant le petit monde qui est le sien, on perçoit vite les limites de sa force. Valérie Massadian rappelle brutalement que lorsque le cinéma travaille les plus petites choses, il atteint l’émotion la plus forte, la plus déstabilisante. On ne saurait plus souhaiter la sortie en avril prochain de ce film important (initialement un court métrage mais allongé suite au prolongement de l’expérience entre la cinéaste et l’enfant).

Nana
Le nouveau court métrage de Sophie Letourneur a eu les faveurs d’un public hilare. Le premier long de la réalisatrice, La Vie au ranch, était déjà remarquable mais pouvait finir par épuiser sur la durée : trop hystérique, trop parisiano-parisien. Plus ramassé sur la durée, une trentaine de minutes, Le Marin masqué conserve de la force de frappe du langage de son prédécesseur mais ne lasse jamais. On y suit Sophie Letourneur et Laetitia Goffi, qui jouent toutes deux leur propre rôle, partir en week-end à Quimper, ville natale de Laetitia. Entre virées à la plage, sorties nocturnes à la Chaumière et dîners à la crêperie, resurgit l’image du marin masqué, fixette amoureuse d’adolescence de Laetitia. Les deux jeunes femmes se mettent en quête de le retrouver. Ici encore, Letourneur innove et fait la part belle au son, en offrant une bande sonore entièrement reconstituée en post-synchro. L’effet de décalage produit rend le film souvent hilarant, jouant malicieusement des répétitions et allitérations, soulignant surtout finement la trivialité des conversations des filles, et des nôtres. Parce que Sophie et Laetitia, pour peu qu’on ait passé vingt ans et un peu vécu, c’est nous. Mention spéciale à Johan Libéreau, parfait en hétéro-beauf provincial qui, l’alcool aidant, est prêt à toutes les déclarations d’amour pour parvenir à ses fins.

Le Marin masqué
Enfin, la section "Danse/Cinéma" permettait aux festivaliers de découvrir des films plus ou moins connus liés à l’univers de la danse, qu’il s’agisse de courts, longs métrages de fiction ou de documentaires. Présenté en double programme dans ce cadre, on a donc pris plaisir à revoir Beau Travail de Claire Denis (2000), accompagné du moins connu Les Raboteurs de Cyril Collard. Là où la sélection du Collard est évidente, le film étant chorégraphié par Angelin Preljocaj et mettant en mouvement un tableau de Callebotte, la vision du film de Claire Denis rappelle combien la danse, associée à un ordre militaire où les corps appartiennent à une machine autonome, puissante, guerrière peut être politique ainsi que puissamment érotique.
On a également pu voir ou revoir Un jour Pina a demandé, le très beau documentaire de Chantal Akerman issu de la collection “Repères sur la danse moderne”, tourné en 1983 pour Antenne 2. Cinq semaines durant, la cinéaste a suivi Pina Bausch et ses danseurs dans leurs répétitions à Wuppertal, Venise et Avignon. Si, presque trente ans plus tard, on n’apprend plus grand-chose de neuf sur le travail de l’immense chorégraphe, l’acuité d’observation d’Akerman, la manière dont elle filme la danse en longs plans fixes, n’expliquant rien, donnant juste à voir, font du film l’un des plus beaux sur Pina, au moins à égalité avec celui de Wenders. Monté à partir de bouts de répétitions, de brèves interviews des interprètes et d’extraits de cinq spectacles, Un jour Pina… se met tout entier au service de la danse. La caméra tourne mais ne s’impose pas, la parole est donnée au corps et au mouvement seuls. Et aujourd’hui, deux ans après sa mort, il est bouleversant de voir Pina face caméra, dire que, pour le futur, elle espère “beaucoup de force, et d’amour”.

Un jour Pina a demandé