Festival Premiers Plans d’Angers (20-29 Janvier 2012) : Notes festivalières

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La 24e édition du festival Premiers Plans s´est achevée dimanche à Angers. Il était une fois le cinéma y était pour le week-end de clôture : 3 jours-marathon de cinéma, partagés entre longs et courts métrages en compétition, rétrospective Godard et films de danse. Tour d´horizon.

Trois jours sur dix de festival, c’est forcément court, beaucoup trop court. Il n’empêche : on a joué le jeu, visionnant un maximum de films, tous plutôt bons, en tout cas témoins d’une certaine vitalité d’un jeune cinéma, d’une certaine “imprudence” chère au président du jury Christophe Honoré. On s’est arraché les cheveux sur le planning, demandé comment arriver du cinéma Les 400 coups au multiplexe Gaumont en moins de dix minutes, on a couru les cocktails, échoué à avoir Guillaume Gouix en interview, écouté religieusement la fille d’Alan Clarke présenter l’œuvre de son père. On a revu Beau travail de Claire Denis, se disant que Denis Lavant se déhanchant sur Rhythm of the Night de Corona, il fallait quand même le faire. On a vu Le Mépris sur grand écran, de nouveau retenu notre souffle durant le générique ; on a dansé au Chabada, un peu dormi, mangé des paninis. On s’est dit qu’Anna Mouglalis était aussi belle en vrai qu’à l’écran, on a applaudi avant chaque film la bande-annonce du festival montée à partir de la scène de danse dans Bande à part, on s’est souvenu que Joachim Trier, auteur du très beau Oslo, 31 août, avait réalisé Nouvelle Donne, qu’on aimait déjà beaucoup.

Impressions à chaud des films vus, en vrac, dans le délice de croiser nouveautés avec films du répertoire, découvertes et films qu’on attendait, formats et durées, dans un festival de cinéphiles, les vrais, de ceux qu’on aime bien à Il était une fois.

Pour notre toute première projection, on a eu de l’instinct. Le premier film d’Estelle Larrivaz, Le Paradis des bêtes, a en effet été récompensé par le Prix du public au meilleur long métrage français. A défaut d’être aventureux, il a le mérite de tenir un casting hétéroclite (Géraldine Pailhas, Stefano Cassetti et Muriel Robin) dans une intrigue familiale tirant sur le polar. Si l’on regrette d’avoir raté Abrir puertas y ventanas, de Milagros Mumenthaler, dont tout le monde dit le plus grand bien et pour lequel les trois actrices ont reçu ex-aequo le Prix d’interprétation féminine, on a bel et bien vu Oslo, 31 août, qui sortira le 29 février prochain et s’est vu décerner le Grand Prix du Jury pour un long métrage européen.

En présentant son jury et son palmarés, Christophe Honoré a insisté sur sa volonté de primer des œuvres imprudentes, des films où l’audace de la mise en scène s’affirme dès les premières minutes. Le second long de Joachim Trier raconte le mal-être d’un homme dans Oslo, le temps d’une journée. Agglomérant la beauté ordonnée et verte de la ville aux affects de l’ancien junkie, la narration emprunte parfois à la divagation mentale du personnage principal, créant des échappées visuelles saisissantes parce que hors narration. Le résultat est sombre malgré la parfaite et harmonieuse composition de chaque plan, malgré la douce lumière. Prix d’interprétation pour Anders Danielsen Lie, jouant déjà en 2006 dans Nouvelle Donne.

 

Oslo, 31 août

Oslo, 31 août

 

Présenté avec cohérence juste avant le film de Joachim Trier lors de la reprise du palmarès, le court allemand Heimkommen, lauréat du Prix du public pour un film d’école, a pour sujet le pardon en milieu familial. Si d’autres films avaient pour thème des relations fraternelles houleuses, celui-ci inscrit la douceur du pardon au centre de son viseur, grâce à de beaux plans larges de patinoires, et quelques réminiscences vestimentaires. Côté courts métrages toujours, Rachel Lang continue son joli triptyque (qu’elle clôturera avec son premier long métrage) avec Les Navets blancs empêchent de dormir, petit objet cinéphile accrocheur, où Salomé Richard encore (Pour toi je ferais bataille) lutte entre Bruxelles et Paris avec un amour moribond. Tendre et anecdotique, le film impose un univers musical et une manière un peu maussade de dépeindre les relations sentimentales assez séduisants.

Dans le registre des rétrospectives, c’est de la section Un rare : Alan Clarke que sont venues les plus authentiques découvertes. Et si les cinéphiles avertis vénèrent des films tels que Scum, Made in Britain ou The Firm, personne ou presque ne connaît Contact (1985). Angers a créé l’événement en organisant une projection du film, présenté par la fille du réalisateur et montré pour la toute première fois en France. Véritable rareté donc, pour un film ramassé et tout en tension sur l’absurdité de la guerre. On y suit un groupe de paras en patrouille dans la province du South Armagh, à la frontière invisible entre Irlande du Nord et du Sud, point chaud des activités de l’IRA. Clarke explore la terreur constante dans laquelle vivent les soldats, alors que s’approchent les inévitables combats. De ceux-là, on ne verra rien, ou presque : mais une bombe explose, un soldat meurt, et il faut pourtant retourner au front. Intrigue réduite à l’essentiel, peu d’action, Contact est resserré au maximum, et échappe à toute vélléité moralisatrice en centrant son propos sur l’individu. S’il rouvre bien le débat sur le conflit nord-irlandais, le film refuse tout commentaire explicite sur la situation, privilégiant la peinture des horreurs par le prisme de l’humain. Intense.

 


Un mot sur la rétrospective Godard, simplement baptisée "De Godard à JLG" : remontrer les films du maître, pas moins d’une trentaine, a été encore une fois l’occasion de faire le lien entre le cinéaste européen ayant certainement le plus de disciples et la jeune garde de réalisateurs venus présenter leurs films. Faire venir Anna Karina et Macha Méril pour présenter les films, voir une scène pleine pour Le Mépris, entendre encore cinquante ans plus tard des applaudissements en forme d’hommages au film culte ne dément pas la réputation de festival de cinéphiles que porte fièrement Premiers Plans.

"Figures Libres" est une sélection de premières œuvres réalisées hors contraintes et formats. Y était montré le premier long de Valérie Massadian, Nana, un pari, un des films les plus audacieux présentés cette année. Dans une campagne française, Nana vit sa vie d’enfant. Son grand-père est éleveur de porcs, et elle et sa mère vivent au creux des bois, dans une petite maison. Les plans prennent leur temps, les cadres sont fixes, la composition de l’espace est digne des expériences de photographe et de chef décoratrice de la jeune cinéaste. Sa mise en scène concentre toute notre attention sur les mouvements de l’enfant, qui grandit à la campagne. Sa découverte de la vie, ses paroles, libres, son ignorance totale de la caméra qui ne la lâche pas sont en réalité le fruit de beaucoup de travail, d’un apprivoisement patient de la petite fille.

Le résultat restitue les errements de l’enfance, les phrases sans queue ni tête, l’imagination, les maladresses et la liberté absolue de Nana. Mais l’innocence n’est pas vraiment totale, et le film se démarque d’un enregistrement béat. Dès la première scène, où les éleveurs tuent un cochon (attention, âmes sensibles…) en présence d’enfants, on est saisi par ce geste implacable, nécessaire et indifférent. La figure maternelle est elle aussi incertaine, un peu brusque, puis absente. Nana se retrouve soudain seule dans la maison, et si elle reproduit les gestes d’adultes, inconsciente de la mort autour d’elle, perpétuant le petit monde qui est le sien, on perçoit vite les limites de sa force. Valérie Massadian rappelle brutalement que lorsque le cinéma travaille les plus petites choses, il atteint l’émotion la plus forte, la plus déstabilisante. On ne saurait plus souhaiter la sortie en avril prochain de ce film important (initialement un court métrage mais allongé suite au prolongement de l’expérience entre la cinéaste et l’enfant).

 

Nana

 

"Plans suivants", peut-être la section la plus cohérente du festival angevin dans la mission de découvreur qu’il s’est confié, présente les seconds films de cinéastes ayant déjà été remarqués à Angers à leurs débuts. Cette année, Guillaume Brac et Sophie Letourneur ont tous deux eu les honneurs. Un monde sans femmes est une petite merveille qui puise aussi bien chez Pialat que chez Rohmer, chronique attachante et parfois bouleversante de la fin d’un été dans une petite station balnéaire picarde, où une mère et sa fille vont faire vivre à un jeune homme esseulé une semaine enchantée. C’est beau, c’est drôle, c’est fort, ça ressemble à la vie mais en mieux. Nous avons interviewé le cinéaste/producteur et on vous en reparle très vite, puisque le film sort le 8 février, précédé du premier court de Guillaume Brac, Le Naufragé, lui aussi distingué à Angers.

Le nouveau court métrage de Sophie Letourneur a eu les faveurs d’un public hilare. Le premier long de la réalisatrice, La Vie au ranch, était déjà remarquable mais pouvait finir par épuiser sur la durée : trop hystérique, trop parisiano-parisien. Plus ramassé sur la durée, une trentaine de minutes, Le Marin masqué conserve de la force de frappe du langage de son prédécesseur mais ne lasse jamais. On y suit Sophie Letourneur et Laetitia Goffi, qui jouent toutes deux leur propre rôle, partir en week-end à Quimper, ville natale de Laetitia. Entre virées à la plage, sorties nocturnes à la Chaumière et dîners à la crêperie, resurgit l’image du marin masqué, fixette amoureuse d’adolescence de Laetitia. Les deux jeunes femmes se mettent en quête de le retrouver. Ici encore, Letourneur innove et fait la part belle au son, en offrant une bande sonore entièrement reconstituée en post-synchro. L’effet de décalage produit rend le film souvent hilarant, jouant malicieusement des répétitions et allitérations, soulignant surtout finement la trivialité des conversations des filles, et des nôtres. Parce que Sophie et Laetitia, pour peu qu’on ait passé vingt ans et un peu vécu, c’est nous. Mention spéciale à Johan Libéreau, parfait en hétéro-beauf provincial qui, l’alcool aidant, est prêt à toutes les déclarations d’amour pour parvenir à ses fins.

 
Le Marin masqué

Enfin, la section "Danse/Cinéma" permettait aux festivaliers de découvrir des films plus ou moins connus liés à l’univers de la danse, qu’il s’agisse de courts, longs métrages de fiction ou de documentaires. Présenté en double programme dans ce cadre, on a donc pris plaisir à revoir Beau Travail de Claire Denis (2000), accompagné du moins connu Les Raboteurs de Cyril Collard. Là où la sélection du Collard est évidente, le film étant chorégraphié par Angelin Preljocaj et mettant en mouvement un tableau de Callebotte, la vision du film de Claire Denis rappelle combien la danse, associée à un ordre militaire où les corps appartiennent à une machine autonome, puissante, guerrière peut être politique ainsi que puissamment érotique.

On a également pu voir ou revoir Un jour Pina a demandé, le très beau documentaire de Chantal Akerman issu de la collection “Repères sur la danse moderne”, tourné en 1983 pour Antenne 2. Cinq semaines durant, la cinéaste a suivi Pina Bausch et ses danseurs dans leurs répétitions à Wuppertal, Venise et Avignon. Si, presque trente ans plus tard, on n’apprend plus grand-chose de neuf sur le travail de l’immense chorégraphe, l’acuité d’observation d’Akerman, la manière dont elle filme la danse en longs plans fixes, n’expliquant rien, donnant juste à voir, font du film l’un des plus beaux sur Pina, au moins à égalité avec celui de Wenders. Monté à partir de bouts de répétitions, de brèves interviews des interprètes et d’extraits de cinq spectacles, Un jour Pina… se met tout entier au service de la danse. La caméra tourne mais ne s’impose pas, la parole est donnée au corps et au mouvement seuls. Et aujourd’hui, deux ans après sa mort, il est bouleversant de voir Pina face caméra, dire que, pour le futur, elle espère “beaucoup de force, et d’amour”.

 

Un jour Pina a demandé

Beaucoup d’attentes après un festival de qualité : les sorties de jeunes films, certains qu’on a hâte de défendre, mais dont la fragilité et l’audace, la différence parfois, n’augurent évidemment rien de bon face à dix-sept autres sorties de la même semaine. Lors de la remise des prix, trois lauréats ont souligné que leurs films sortaient le 14 mars, la même date que le nouveau film de Lucas Belvaux, 38 Témoins, montré lors de la clôture. Malgré sa médiocrité, le film ne joue bien entendu pas dans la même catégorie en nombre de copies. Encore une fois, malgré une année florissante pour les entrées sur le territoire, les jeunes cinéastes bataillent toujours pour que la sortie en salle ne soit pas un passage fantomatique sur deux copies parisiennes, et que leur film soit visible ailleurs qu’en festival.


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