Festival de pépites givrées à Ciné Nordica

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Parce que le 7ème art scandinave ne se résume ni à Bergman, ni à « Millénium », le festival Ciné Nordica propose aux cinéphiles un aperçu original et passionnant du cinéma suédois, norvégien et danois d´hier et d´aujourd´hui.

Parce que le 7ème art scandinave ne se résume ni à Bergman, ni à Millénium, le festival Ciné Nordica a pris le parti d’offrir aux cinéphiles – novices ou avertis, peu importe tant qu’ils sont curieux – un aperçu original et passionnant du cinéma suédois, norvégien et danois d’hier et d’aujourd’hui. Au programme de cette seconde édition qui s’est tenue en décembre au cinéma du Panthéon : « pas forcément des blockbusters, des acteurs inconnus et des noms de réalisateurs impossibles à prononcer », plaisante Maria Sjoberg-Lamouroux, fondatrice de l’événement.

Vers le Nord et au-delà

S’il fallait attribuer une palme à l’une de ces pépites givrées, on la décernerait à Nord, premier long métrage de fiction du norvégien Rune Denstad Langlo. Anders Baasmo Christiansen (magnifique en loser rond et bon) y incarne Jomar, employé des remonte-pentes fraîchement largué, incapable de faire le deuil de ses années de gloire comme skieur professionnel. Les jours se suivent et se ressemblent – bière, cigarette et émissions catastrophes sur le câble – jusqu’au jour où un vieux pote lui apprend que quelque part, au Nord du pays, Jomar a un fils de 3 ans. Passé le choc de la nouvelle, Jomar enfourche sa moto-neige et part en quête de sa progéniture. Il lui reste 1 100 km pour décider quoi dire au petit homme qui ignore encore l’identité de son père. Ce snow-movie faussement dépressif sera en salle le 10 mars.

 

L’Europe des patrons

Sur le haut du podium, on placerait également Metropia, film d’animation futuriste et ambitieux du suédois Tarik Saleh (là encore, une première réalisation). Dans une Europe atone, entièrement quadrillée par d’interminables lignes de métro et peuplée d’individus amorphes, Metropia raconte l’odyssée souterraine de Roger, un trentenaire paranoïaque convaincu que toute sa vie – et sans doute celle de ses concitoyens – est contrôlée par une police secrète aux ordres du grand capital. La photographie, sublime et angoissante, évoque Terry Gilliam ou Roy Andersson. A voir « très prochainement » et en V.O. pour profiter du jeu mystérieux de Vincent Gallo et Juliette Lewis.

 

La Suédoise sous toutes ses coutures

L’idée de présenter des films d’archives autour de la thématique du « péché suédois » était judicieuse et presque aussi efficace pour réchauffer les longues soirées d’hiver – il a neigé durant le festival – qu’un verre de Glögg (vin chaud) ou d’Aquavit. Se sont donc succédées à l’écran des héroïnes aussi belles que libres, qui firent rougir les esprits prudes de l’époque.

A sa sortie en 1951, Elle n’a dansé qu’un seul été, d’Arne Mattsson – « le film suédois le plus vu de tous les temps » – s’est attiré les bonnes grâces du festival de Berlin (Ours d’or 2002), mais également les foudres de l’Eglise. Göran, bachelier en vacances dans un petit village rigoriste, s’éprend d’une jeune paysanne cloîtrée par ses parents. Malgré les menaces de la famille et des voisins – tout le monde se mêle de leur histoire – le couple continue à se voir, jusqu’à ce que Kerstin soit emportée par un accident de la route, quelques minutes après leur première nuit d’amour. Le film débute sur le sermon du pasteur, invoquant la colère divine pour « expliquer » la mort de la jeune fille…

 

« Dans le cinéma de l’époque, les relations sexuelles avant le mariage ne menaient qu’aux grossesses non souhaitées et aux catastrophes », rappelle dans le livret du DVD Marten Blomkvist, journaliste cinéma à Dagens Nyheter, le plus grand quotidien suédois. « Dans Elle n’a dansé qu’un seul été, le sexe est un jeu auquel on peut se livrer dans la nuit claire de l’été suédois sans en éprouver aucun remords le lendemain et il apparaît ici comme une chose naturelle et enfin libérée de toute culpabilité. » « Ce sont ces images, explique-t-il, qui donnèrent à la Suède son image de paradis érotique. »

Cette liberté dont n’aura pu jouir Kerstin, Britt, le personnage du Péché suédois, de Bo Widerberg (1963), se l’octroie avec une détermination insouciante détonante, même au début des années 60 Ouvrière dans une usine, la belle démissionne quand le contremaître lui tape sur le système, entreprend les garçons qui lui plaisent – Björn, le bourgeois complexé ou Robban, le rockeur fauché – et accepte avec philosophie sa grossesse imprévue (« Mon diaphragme était dans la poche de mon autre manteau », explique-t-elle à une copine ») Britt n’a pas besoin d’un mari : mieux vaut être mère célibataire que mal accompagnée.

 

(Re)découvrir Bo Widerberg

De ce brillant écrivain, critique et réalisateur oublié que fut Bo Widerberg – l’homme qui osa s’attaquer au « monument » Bergman, qu’il jugeait « trop préoccupé par la classe supérieure et par dieu » –, on pourra découvrir trois autres petits chefs d’œuvre – trois destins romanesques – grâce aux éditions Malavida qui rééditent ses meilleurs films et accompagnent chacun d’entre eux d’un livret passionnant.

Primé au festival de Cannes de 1967 (pour l’interprétation de Pia Degermark), Elvira Madigan raconte l’histoire vraie et bien connue des Suédois d’un noble militaire qui, à la fin du XIXe siècle, abandonna femme, enfants et armées pour vivre sa passion avec une danseuse funambule.

Souvent considéré comme son meilleur film, Adalen 31 (1971), beaucoup plus intimiste, mais également inspiré de la réalité tient la chronique d’une grève à l’issue sanglante.

Enfin, Un flic sur le toit, réalisé avec davantage de moyens, marque un tournant dans la carrière de Bo Widerberg qui se lance dans le cinéma policier en adaptant l’un des romans du couple d’écrivains détectives, Maj Sjöwahl et Per Walhöö. Quasiment dépourvu de musique et tourné en lumière naturelle, Un flic sur le toit, film catastrophe teinté de politique surprend. « Un polar pour le peuple », résume le spécialiste du genre nordique Pierre Charrel. « Des films pour le peuple », pourrait-on extrapoler. Car le travail de Bo Widerberg, plus simple et chaleureux, moins théâtral et surtout, profondément social, a ouvert une nouvelle voie au cinéma suédois dont la jeune génération de réalisateurs se réclame d’ailleurs souvent. « L’autre génie suédois du 7e art », annonce Malavida, et ce ne sont pas des paroles en l’air.


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