Fantômes à Rome

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Ressortie sur les écrans d´une rareté d´Antonio Pietrangeli. Une manière de voir que les fantômes aussi connaissent la crise !

Quand on pense fantômes, on imagine de (plus ou moins) gentilles formes avec un lot d’occupations assez minimal : « tiens, un nouvel habitant à hanter dans le manoir » ou « ô que je suis tourmenté par les erreurs de ma vie passée ! » Mais en 1961, à Rome, quelques fantômes ont de plus gros soucis. Dans un immense palais, un vieux prince cohabite avec les fantômes de sa famille : un prêtre gourmand, un Casanova du XVIIIe, une fiancée noyée et le garnement du coin. Tout ce petit monde vit en presque paix jusqu’au décès du prince et le risque de vente du palais par son descendant pour en faire un gigantesque magasin ultra moderne.
Antonio Pietrangeli est plus connu en France comme scénariste du néoréalisme italien (Les Amants Diaboliques et La Terre tremble de Visconti) que comme réalisateur de comédies. Il a pourtant régulièrement collaboré avec les piliers de la comédie italienne (Ettore Scola, Ennio Flaiano et Ruggero Maccari) pour ses scénarios, Fantômes à Rome notamment. Ajoutez Nino Rota à la musique, Marcello Mastrioanni et Vittorio Gassman devant la caméra et ces fantômes finissent de mettre l’eau à la bouche.
Le réalisateur joue pleinement de l’attrait que suscitent les fantômes et leur représentation à l’écran. Avoir le teint blanchâtre, traverser portes et fenêtres, jouer à la statue, se jeter dans le fleuve… tout cela fait partie du quotidien. Mieux, le film fait des fantômes la cause de tous nos petits maux : cette mèche qui ne veut pas tenir en place, cette impression de nez qui gratte, le fait de changer d’avis à la dernière seconde sur le choix de votre plat au restaurant ou encore cette illumination géniale que vous pensiez avoir eue comme ça d’un seul coup… Mais au-delà des nombreuses potentialités comiques du fantôme à l’écran, le plaisir est aussi purement visuel. A l’heure de l’illusionnisme de plus en plus troublant des images de synthèse et de la 3D (plus rarement convaincante pour le coup), les vieux trucages des débuts du cinéma n’ont rien perdu de leur charme ni de leur puissance évocatrice. Un peu de poésie et d’imagination ne font jamais de mal.
D’autant plus qu’en termes de pure mise en scène, Fantômes à Rome est un petit bijou. Pietrangeli ne se rend pas la tâche facile. Là où un découpage serré et des plans courts lui auraient simplifié la vie du côté des effets spéciaux, il affectionne tout particulièrement les plans longs, les panoramiques et les travellings au cours desquels ses fantômes peuvent apparaître et disparaître tandis que la caméra sillonne le palais dans tous ses coins et recoins. De même que la musique de Nino Rota ou le jeu des acteurs, le film mêle élégance, sophistication et impertinence.
Aussi drôles et fascinants soient-ils, ces fantômes sont pourtant le prétexte d’un contenu beaucoup moins réjouissant. Fatalement, les vieux palais romains n’intéressent plus grands mondes, alors qu’un grand magasin grand, pimpant et brillant, ça ça a de la gueule. Soyons moderne ! Quitte à graisser la patte des récalcitrants. Nos gentils fantômes se transforment alors en résistants pourfendeurs du patrimoine. Comme toujours à cette époque, la satire (politique, sociale…) n’est jamais loin. Les instances dirigeantes en prennent un sacré coup : immobilistes, corrompues, jamais d’humeur à tolérer un avis autre que l’officiel… Le tout s’incarnant sous la forme de Dieu, invisible mais très sonore, toujours prêt à manifester son mécontentement que ce soit contre les frasques du fantôme dragueur ou l’évocation de l’actualité politique (« Ce Khrouchtchev, il a l’air sympa… Je ne le dirais plus ! »).
Antimilitaire, anticapitaliste et surtout anticonformiste, Fantômes à Rome séduit toujours d’autant que son thème (corruption et immobilier) est toujours d’actualité. A ceci près qu’il recevrait probablement aujourd’hui un traitement nettement plus dramatique. Nanni Moretti excepté, peu de réalisateurs italiens semblent prêts à rire de leur situation et de leur pays. Pourtant au cinéma, le rire est souvent la meilleure des armes. En France aussi, on pourrait en prendre de la graine.

Titre original : Fantasmi a Roma

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Durée : 105 mn


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