On le disait voilà dix jours : il n’y a jamais autant eu de manifestations dédiées au cinéma de genre en France. Ce constat n’a pas été prononcé en vain : durant la semaine, l’équipe du magazine Mad Movies a annoncé officiellement qu’elle allait lancer son propre festival de cinéma fantastique, le PIFFF. Etonnant dans ces conditions que l’équipe de Frédéric Temps rappelle la difficulté de mettre sur pied l’Etrange festival : l’époque semble au contraire être propice à ce genre de rendez-vous hautement prisés des cinéphiles, trop heureux de venir découvrir quelques perles soit trop rares (voire invisibles sur grand écran depuis longtemps) soit avant tout le monde. Le dernier week-end, le Forum des images semblait presque trop petit pour contenir la foule. Y a-t-il une raison de ne pas espérer une 18e édition ? On espère bien que non.
Trio de pépites
Cela nous aurait contraint à attendre cinq mois de plus pour voir Bullhead (Tête de bœuf), premier film belge et grand prix 2011 du festival. Un faux polar, situé dans le domaine rarement, voire jamais vu au cinéma, de la mafia des hormones. Mais un vrai grand portrait à hauteur d’homme, à fleur de peau. Ce fils d’agriculteur, Jacky, émasculé durant son enfance, et qui devient une bête dopée à la testostérone, est un personnage que l’on n’oubliera pas de sitôt. Massif, mutique, souvent filmé en contre-jour ou en amorce de dos, il prend peu à peu tout l’espace, effaçant du paysage l’intrigue policière peuplée d’indics, de garagistes wallons idiots et de caïds de rase campagne. Insaisissable et pourtant transparent dans l’expression de son manque affectif, il est le centre névralgique de ce premier film certes imparfait, l’histoire menaçant à tout moment de sortir de rails pourtant passionnants, mais malgré tout impressionnant de maîtrise et de noirceur romantique.
En traversant l’Atlantique, le festival a également permis de découvrir le mexicain El Infierno, sorte de décalque mariachi des Affranchis. Lorgnant beaucoup du côté de l’humour caustique des frères Coen, ainsi que de Peckinpah (notamment dans son final), cette épopée se place clairement, violence sans concession à l’appui, dans le camp des agitateurs politiques incontrôlables : le film s’essuie volontiers les pieds sur le drapeau national, plaçant son intrigue mafieuse dans le cadre du bicentenaire de la naissance du pays. Un doigt d’honneur érigé avec panache et efficacité.
La vengeance est un plat… venu d’Asie
Des polars, l’Etrange en comptait beaucoup, et forcément l’Asie était présente avec plusieurs titres. L’incontournable Corée du Sud envoyait son dernier méga-succès, The Man from nowhere. Un thriller tendu qui n’invente rien (le scénario évoque autant Taken ou Man on Fire qu’un bon vieux Steven Seagal), mais qui déroule son efficacité avec un charme certain, la popstar locale Won Bin jouant plutôt bien le classique ex-agent-secret-que-personne-ne-connaît-à-part-ses-anciens-employeurs. Peu de scènes d’action, et c’est tant mieux : leur rareté décuple leur impact, et le final à base de combats au canif est déjà entré dans les mémoires. Moins énervé, le réalisateur Ryoo Seung-Wan délaisse les bastons interminables de City of Violence ou Arahan pour s’essayer au thriller accusateur, égratignant avec force les pouvoirs publics (police, justice, tout le monde y passe) à travers une histoire de serial-killer instrumentalisée par un procureur aux dents longues et un flic expéditif. Emberlificoté, bien trop long pour garder intact une tension pourtant réelle, The Unjust trébuche souvent. Mais la virtuosité formelle du cinéaste et l’énergie indéniable du casting emportent malgré tout l’adhésion.
Bien moins réussi, le hong-kongais Revenge : a love story a énormément déçu. Estampillé Category III (classification synonyme de film d’exploitation violent), ce « revenge movie » veut marcher sur les traces, déviantes et ambitieuses, du radical Dream Home. Ce sont les mêmes producteurs, mais la recette cette fois ne prend pas : blindé d’incohérences, joué avec les pieds par une brochette d’enclumes, Revenge… pâtit en plus d’un script idiot et mises à mort totalement invraisemblables. Par respect pour les proches, on évitera de parler du dénouement…
Aux confins de l’horreur… et de l’étrange
Bon, et du fantastique, il y en avait, quand même ? Bien sûr : l’horreur, l’étrange, le paranormal ont eu droit de cité. La soirée d’ouverture a permis de découvrir The Divide de Xavier Gens, « huis-clos post-apo » qui permet au réalisateur de Frontière(s) de signer un opus plus fréquentable que les précédents. Sans inventer la poudre, le cinéaste tire le meilleur d’un script un peu trop mécanique pour surprendre, et d’un décor unique mais soigné qu’il explore dans les moindres recoins, à la Panic Room. Les acteurs ont été invités à improviser durant le tournage, et cela se ressent. Chacun fait son show avec plus ou moins de bonheur, et défend avec un peu trop de zèle des personnages par essence très antipathiques. L’ambiance de fin du monde est bien là, magnifiée par un dénouement que Gens souhaitait « carpenterien ». Dans les limites de ses ambitions (et de ses capacités), c’est plutôt réussi.
On passe rapidement sur l’énième zombie-comédie Deadheads, dont les maigres bonnes idées ne font pas oublier l’origine télévisuelle ( !) et un casting à baffer. Sur l’anthologie The Theatre Bizarre, qui visait l’hommage au Grand guignol et nous offre une panoplie fourre-tout de courts-métrages très inégaux (ça va de la purge à l’intéressant). Et sur le conte Hideaways dont le prologue à la Amélie Poulain débouche sur une love story à pleurer de rire tant elle est attendue et mielleuse. Une autre production a provoqué une déception plus douloureuse. Don’t be afraid of the dark a tout pour lui, à commencer par l’aura de son producteur, Guillermo del Toro. Le sujet semble taillé pour lui, mais c’est le dessinateur Troy Nixey qui « échoue » derrière la caméra. A lui d’illustrer ce récit classique d’une famille dysfonctionnelle s’enfermant dans une maison gothique, peuplée de petits monstres à mi-chemin entre des mini-Gollum et les Gremlins. La direction artistique est à tomber, la musique classieuse, mais pourtant, une fois les lumières rallumées, ce qui reste à l’esprit, c’est l’invraisemblance du script, la pauvreté des rebondissements, et une mythologie déjà difficilement crédible, que les dialogues échouent à faire vivre.
Sur un mode plus confiné, voire en sourdine, Take Shelter a bien plus convaincu. Le deuxième film de Jeff Nichols a été construit autour de l’acteur Michael Shannon, au centre de tous les plans dans cette histoire simple et pourtant étonnante d’un homme obsédé par l’idée de construire un abri pour protéger les siens d’une « grande tempête ». En prenant son temps, en ponctuant son intrigue de séquences de cauchemars traumatisants filmés en grand angle, Nichols bâtit un drame déchirant, malgré un symbolisme appuyé, sur la schizophrénie. Enfin, c’est ce que l’on croit, avant un dénouement que n’aurait pas renié le Peter Weir des années 70.
Le blockbuster venu d’ailleurs
Grand moment de détente "trash" du premier week-end, la Nuit Grindhouse a permis de découvrir, enfin, le Hobo with a shotgun de Jason Eisener. Produit, comme Machete, à partir d’une bande-annonce un peu gag, Hobo… est un film d’exploitation dans ce qu’il peut avoir d’infantile ET de jouissif. Rutger Hauer y joue le vagabond du titre, qui va "délivrer la justice une cartouche à la fois" avec son fusil à pompe. Là aussi, les années 80 sont abondamment citées, notamment l’esthétique crado-flashy des productions Troma, ainsi que le culte Street Trash de Jim Muro. Délirant, sanglant, Hobo... ose le contraste entre la tristesse nostalgique du héros et la débilité assumée de l’univers, peuplé de trognes de méchants cartoonesques. Grisant, tout comme Tucker & Dale vs Evil, parodie jouissive des slashers, qui inverse les clichés du genre (les rednecks chers à Tobe Hooper deviennent les victimes d’étudiants un peu trop psychotiques) avec une vigueur, une malice et une verve incroyable. Un bijou de comédie horrifique, sous-genre pas si facile à maîtriser.
On ne pourrait finir cette galerie d’avant-premières de grand luxe, sans évoquer le grand moment de dépaysement de cette édition : Endhiran – Robot the movie. Un blockbuster kollywoodien de trois heures, recyclant vingt ans de SF américaine avec un grain de folie qui donne un sacré sourire. Superstar locale (son surnom EST superstar !), Rajnikanth se multiplie tel l’Agent Smith à l’infini, chante et se déhanche aux côtés de la sublime Aishwarya Rai sur fond de Maccu Pichu, et nous emporte dans un tourbillon d’action ultra-manichéenne, bourrée de gags de cours de récré, de cabotinage éhonté et de cascades incroyables. Un enchantement qui réussit malgré ses imperfections à séduire les plus réticents.