Rencontre avec Eriq Ebouaney

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Sa prestation dans « Lumumba » de Raoul Peck est une performance qui a révélé cet acteur français d´origine camerounaise. Eriq Ebouaney a la particularité de collaborer avec des réalisateurs africains et européens. Son point de vue sur le cinéma africain est celui d´un comédien qui le vit de l´intérieur sans pour autant en perdre son sens critique.

Que pensez-vous du cinéma africain ?

(Eriq Ebouaney) Le cinéma africain devrait aujourd’hui se responsabiliser. Il était plus dynamique, il y a 20 ans. Les seuls espoirs du cinéma africain sont à l’heure actuelle l’Afrique du Sud et le Maghreb. Entre les deux, on s’enlise dans la mélasse, les films sont mal tournés, les acteurs sont ridicules…Je ne sais pas si c’est de la faute des réalisateurs, des histoires ou de la production. J’ai essayé de faire de l’autocritique en me demandant à quoi cela était dû. De quoi le cinéma africain aurait-il besoin ? Manquerait-on de scénaristes, de vrais producteurs africains, d’acteurs qui ont une réelle formation ? Je ne sais pas, mais certainement oui. Est-ce qu’il nous manque des réalisateurs qui ont un réel point de vue ? Je ne sais pas, mais on peut encore répondre oui ! Je perçois l’Afrique du Sud comme un foyer qui ferait mijoter la casserole qu’est l’Afrique. Le dynamisme du cinéma sud-africain pourrait alors se répandre dans tout le continent. Je suis persuadé qu’il faut une vraie politique culturelle en faveur du cinéma. S’il y a une prise de conscience des gouvernants, peut-être qu’il y aura enfin de l’argent pour former les gens et produire des films de qualité.

Si l’on admet que les Etats dont on parle sont sous-développés et qu’ils doivent faire face à des urgences, on peut alors comprendre leur désintérêt pour le cinéma ?

(E.E) Je comprends que les Etats aient d’autres préoccupations qu’ils considèrent comme des priorités. Cependant, la culture est un besoin aussi fondamental que la santé ou l’éducation, tout comme le sport. Tout cela contribue au bien-être d’un individu. Il faut cultiver le corps et l’esprit. Les pays africains devraient d’ailleurs se fédérer sur ces questions, échanger leurs expériences parce qu’il faut qu’on arrête de quémander des fonds pour financer le cinéma africain. Autrement, nous resterons dans cette situation post-coloniale, lamentable et triste. C’est d’ailleurs pour cela qu’il faut mobiliser les acteurs privés. Dès le moment où il y aura une politique culturelle, de vraies initiatives en faveur du développement du cinéma, par exemple une défiscalisation pour ceux qui investissent dans le cinéma, je pense qu’il y aura des entreprises, des mécènes qui s’intéresseront au cinéma. Au nombre de 4X4 et de villas cossues que je vois en Afrique, à l’argent dépensé dans les boîtes de nuit pour s’offrir du champagne, je me dis que c’est de l’ordre du possible. Si le cinéma pouvait disposer, ne serait-ce que de 0, 01% de ces sommes, nous serions les rois du pétrole.

Nous avons parlé de ce qui fâche quand il est question du cinéma africain. Maintenant, nous allons nous pencher sur ce qui fait sa particularité. Quelle est sa force, selon vous ?

(E.E) C’est l’imaginaire des Africains qui donne sa puissance à leur cinéma. Il y du dynamisme, de la diversité et une grande dose de naïveté… On a l’esprit pur, ce dont rêvent tous les artistes. Les choses se vivent avec spontanéité, dans l’instant, une immédiateté dans la création à laquelle nous aspirons tous et qui appartient au monde de l’enfance. En Afrique, cette qualité est innée, mais nous n’arrivons pas à l’exploiter.

Il y a tout de même quelques initiatives qui sont prises pour dynamiser ce cinéma : Le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) en est un bon exemple…

(E.E) Il n’y a plus rien depuis 20 ans parce que nous demeurons d’éternels assistés. J’ai travaillé sur un film de Sylvestre Amoussou, qui s’appelle Africa Paradis : si l’on avait attendu d’être aidé, comme beaucoup de réalisateurs africains, nous ne l’aurions jamais tourné. C’est un film indépendant. Quand on fait du cinéma une question de vie ou de mort, on y arrive. J’estime que la culture, faire de l’art s’apparente à un cri que l’on doit pousser : soit il sort, soit on s’étouffe. Entre le Nord et le Sud de l’Afrique, il semble que l’on n’ait pas tellement envie de crier alors même que le cinéma s’est démocratisé. Une caméra, des acteurs, un point de vue suffisent parfois à faire un bon film. On se moque des Nigérians qui font des films à tout va, mais Nollywood est aujourd’hui une vraie industrie. Elle fait vivre des gens et génère des bénéfices. Maintenant, il faut un peu plus de qualité, mais au moins, il a le mérite d’exister.

 

Le futur du cinéma africain selon Eriq Ebouaney ?

(E.E) Il est dans la formation des jeunes acteurs, techniciens, réalisateurs… Il faut qu’on les sensibilise en leur montrant des films, notamment dans les villages. Même si en Afrique, les salles de cinéma sont devenues inexistantes. Au pire, un drap ou un mur peuvent servir d’écran. Il faut justement introduire le cinéma là où on n’a pas l’habitude de le voir pour faire rêver les gens. Les jeunes rêvent de football quand ils voient Zidane, ils peuvent aussi rêver de cinéma quand ils visionnent des films. Des gens comme Denzel Washington, Bruce Willis nous font bien rêver… Il faut trouver des figures emblématiques africaines qui puissent faire rêver nos enfants. On trouve de jeunes réalisateurs dans les pays africains anglophones, nous ne pouvons pas en dire autant dans le monde francophone.

Quel est le premier film africain que vous ayez vu ?

(E.E) C’était un film camerounais, Pousse-pousse de Daniel Kamoua dans une salle de cinéma qui s’appelait Le Rio à Douala, où j’ai grandi. Autrement, on allait voir des films de Belmondo, de karaté ou des comédies musicales « made in » Bollywood.

Quel personnage auriez-vous aimé incarner dans un film africain ?

(E.E) Celui de Bandian dans Le Ballon d’or (1993) de Cheik Doukouré. Le film s’inspire de l’histoire de l’international malien Salif Keita qui a quitté son natal pour venir jouer au football en France. Ça m’aurait plu de jouer cet amoureux du foot.

Votre réalisateur africain préféré ?

(E.E) Djibril Diop Mambéty (réalisateur sénégalais décédé en 1998, considéré comme l’un des plus talentueux du continent, ndlr). La poésie de ses films me bouleverse au propre comme au figuré.

 

Site officiel = http://www.eriqebouaney.com/


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