Entretien avec Philippe Peythieu et Véronique Augereau

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Rencontre avec les voix des « Simpsons ».

Comment êtes-vous arrivés sur l’aventure des Simpsons ?

Véronique : En 1989, il y a eu un gros casting. On ne me connaissait pas encore bien dans le métier. Quand je suis arrivée sur le plateau, toute l’équipe américaine était là, ainsi que notre directeur artistique actuel, Christian Dura. On s’est connus avant Les Simpsons, et ça fait vingt ans que ça dure. J’ai écouté la voix originale et on m’a demandé ce que je pouvais proposer à partir de celle-ci, qui était une voix cassée et rauque aussi. J’ai proposé, et les américains m’ont demandé si je pouvais garder cette voix dans la continuité. J’ai dit oui.

Comment vous-êtes vous habituée à la voix de Marge ?

V. : Les premières années, je faisais toujours mes gammes avant d’y aller. C’est une voix de gorge, que je ne trouvais pas toujours facilement. Le danger était de trop forcer sur les cordes vocales. Maintenant, elle fait partie de moi. J’ai travaillé par rapport à ce que j’entendais en version originale. Pour les sœurs, que je fais aussi, je les prends encore plus bas que Marge. C’est difficile de moduler avec une voix de gorge, j’en ai pas trente-six ! Pour Philippe, c’est plus compliqué…

Justement, Philippe, comment avez-vous appréhendé le personnage d’Homer ?

Philippe : Moi, j’ai fait deux essais. Dans le premier, Homer était plus proche du grand-père, qu’on a connu après. Il était un peu bedonnant, avec deux cheveux, et on ne savait rien de sa vie, il était sans âge. On m’a demandé d’essayer de vieillir ma voix. Ces premiers essais ont été refusés.

Après, on a su qu’Homer avait trois enfants, et qu’il avait une quarantaine d’années. J’ai donc oublié le côté vieillissant du personnage. Les Américains m’ont demandé de faire des « To ! » (il imite la fameuse onomatopée), qui faisaient directement référence à Laurel et Hardy. Moi, j’entendais « Do » comme un « To », ce qui est passé dans la version française. On m’a demandé des « To » d’épouvante, d’amour, de tendresse … Tout de suite, j’ai senti que ca marchait. Ils me disaient « great, great, great  !»

La voix a-t-elle suivi l’évolution des personnages ?

P. : Oui, elle a évolué avec le temps. Elle s’est vraiment calée à la fin de la troisième saison, quand Homer est devenu omniprésent. Avant, le personnage principal était Bart, mais la Fox a jugé qu’il était trop trash. Puis est venu le grand-père. Comme je faisais les deux voix, il a fallu que je les différencie bien. Cela m’a permis de trouver le véritable Homer, qui est devenu moins sage et m’a permis de plus m’amuser.

V. : Quant à Marge, elle se libère de plus en plus. Elle est de moins en moins mère au foyer, elle prend des initiatives qu’elle n’avait pas avant. Elle évolue dans le bon sens.

Les Simpsons suivent-ils l’évolution de la société américaine ?

P. : Oui. Ce qui est bien dans Les Simpsons, c’est l’esprit libertaire. Ils tapent sur tout, ils ne sont pas cul-bénits.

V. : Ils vont loin, comme quand ils évoquent les mariages homosexuels, notamment avec la sœur de Marge, qui rencontre son amie dans un tournoi de golf féminin. Une copine américaine m’a dit que c’était connu, et que 90% des femmes qui jouent au golf sont lesbiennes. C’est donc une vraie référence pour eux ! Ou encore quand Homer célèbre des mariages gays dans son garage…

Pourquoi Les Simpsons peuvent-ils se permettre autant de choses ?

P. : Le secret, je crois, c’est le personnage d’Homer, à qui on pardonne tout, toujours. Il peut être borderline, aller en Angleterre et renverser le carrosse de la reine d’Angleterre !

V. : Alors que la Fox est une chaîne quand même très républicaine !

P. : On peut même faire passer des piments hallucinogènes. En France, au niveau de l’animation, on est vraiment dans le politiquement correct.
En même temps, on est loin de South Park, qui est trash et dans la vulgarité. Dans Les Simpsons, il n’y a jamais un mot grossier. Ca reste toujours grand public, tout le monde s’y retrouve. On peut ainsi traiter de tous les sujets, jusqu’aux dérives du pape… J’espère que Homer va intervenir là-dessus, d’ailleurs !

Au départ, vous attendiez-vous à un tel succès ?

P. : Non, on a fait treize épisodes de la première saison en se disant que ca ne marcherait jamais.

V. : Et puis on se demandait d’où venait l’engouement. Ils sont quand même laids !

P. : On ne comprenait pas pourquoi il y avait autant d’exigence par rapport à un dessin animé aussi sommaire. A l’époque, on était dans la belle animation Disney. D’ailleurs, ça ne marchait pas tellement aux Etats-Unis…

Venons-en au métier en soi. Décrivez-nous une séance de doublage…

V. : On arrive sur un plateau sans savoir ce qui se passe. Christian nous explique l’histoire de l’épisode, on écoute la bande deux ou trois fois, et c’est parti ! Pour Les Simpsons, on va dans l’ordre chronologique. On enregistre la famille d’un côté, et un autre jour, tous les guests.

P. : On ne se voit jamais ! Même si on se connaît très bien…

Quelles sont les contraintes du doublage sur une série ?

V. : Chaque chaîne a un format bien à elle, au niveau du vocabulaire, des accents…. Alors qu’un film peut s’enregistrer en une semaine, quinze jours, une série peut se faire en huit heures. C’est insensé !

Dans quelle mesure êtes-vous libres de vous affranchir des voix originales ?

P. : Jusqu’à la cinquième saison, on avait des superviseurs américains et c’était gênant car on ne pouvait pas se lâcher. Ensuite, la Fox a décidé de nous faire confiance. Le succès nous a donné l’occasion de changer le texte, tout en restant dans l’esprit des Simpsons. Il y a eu des références typiquement françaises. Par exemple, au moment du Loft, Homer a fait référence à Loana, qui est devenue Laona, ou encore Agassi, Barthez ou Venus Williams, Amélie Mauresmo…

Homer a-t-il une expression récurrente typiquement française ?

P. : Dans la version originale, Homer dit toujours « Oh my God ! ». Je ne pouvais pas lui faire dire « oh mon dieu », ce n’est pas naturel en français. On a trouvé le fameux « Oh punaise », qui est devenu « Oh pinaise » au fil du temps. Pareil avec « espèce d’andouille ». Une seule fois, Canal + m’a rappelé pour un retake (ndlr : réenregistrement d’une séquence), pour une référence trop lourde à Hitler. Du moment qu’on ne trahit pas la VO, on a une grande liberté là-dessus.

Et pour Marge ?

V. : Personnellement, je trouve des difficultés dans quelques onomatopées. Chaque son compte. Tant que je ne trouve pas exactement le bon sentiment pour tel grognement, le directeur artistique ne me le laisse pas passer.


Ca vous prend combien de temps, le doublage d’une saison des Simpsons ?

Ensemble : Dix jours !

V. : Voilà notre travail sur les Simpsons par an !

P. : Dix jours étalés sur quatre à cinq mois. Vingt-trois ou vingt-quatre épisodes par an, on en fait deux et demi par jour.

V. : Il y a vingt ans, on en enregistrait un le matin, un l’après-midi. Maintenant, on en est à deux et demi par jour. On n’a pas tellement augmenté la cadence.

P. : Mais c’est des voix fatigantes ! Deux jours de suite, c’est déjà lourd. C’est sportif, Les Simpsons !

V. : Oui, c’est physique. Pour les sœurs, j’ai une attitude de plus en plus dans le sol, parce que je les prends plus bas. Pour le grand-père de Philippe, c’est pareil. Il faut nous voir à la barre, c’est physique ! Mais sinon, c’est une vraie récréation.

Que pensez-vous de la mode d’employer des people, pas forcément comédiens, pour doubler des voix ?

P. : C’est une fausse bonne idée, une histoire de marketing. Pour eux, c’est comme du karaoké et au niveau artistique, ce n’est pas forcément bien. Ce n’est pas le même métier. Eux sont là pour la promo. Nous, c’est véritablement de l’artistique.
Mais à la limite, le battage médiatique aide à faire connaître notre métier, et le public n’est pas dupe de toute façon.

Les acteurs ont-ils des comédiens de doublage officiels ?

V. : Non, ce sont les clients qui nous imposent. On n’a pas le monopole de tel acteur, on est juste propriétaire de notre voix. Souvent, c’est une question de rencontre. Dans le cas de Bruce Willis et de sa voix française, Patrick Poivey, c’est presque une copie conforme !

P. : Sur  Le cinquième élément, la voix française de Bruce Willis a changé, et le public s’en est ému. Parfois, il y a des évidences au niveau du casting qu’on ne peut pas changer. Souvent, c’est l’audimat qui fait tout. Si ca a marché avec tel acteur doublé par un tel, ils ne prennent pas le risque de changer.

Vous pensez donc qu’une voix peut fidéliser un public ?

P. : Je pense qu’en France, il y a une vraie tradition de la version française, d’autant plus pour Les Simpsons. C’est une vraie reconnaissance de notre travail, quand un fondu de la VO nous dit : « Moi, je veux pas regarder une série en français, sauf les Simpsons ! » Et il y en a beaucoup.

Mais même nous, on regarde tout en VO, sauf exception !

Justement, quelle est votre opinion sur les versions françaises ? Y a-t-il une augmentation de la qualité ?

P. : Les chaînes privées sont très exigeantes sur la qualité de la VF. Sauf qu’on travaille dans des contraintes de télé où il n’y a pas de budget. Au cinéma, où il y a du budget, les VF sont plutôt bien faites. Les français ont inventé la bande rythmo, technique de doublage que les autres pays nous ont copiée. En France, c’est une vraie industrie, qui fait travailler beaucoup de monde. On sait faire, et on sait bien faire !

V. : Mais nous, on regarde en VO parce que sinon, on n’accroche pas. On connaît trop les copains, on n’arrive plus à suivre l’histoire ! Sinon, on va regarder tous les défauts…

Revenons sur vos débuts…

V. : J’ai une base théatrâle classique. Puis j’ai eu une émission de radio sur RCF pendant un ou deux ans, où une relation m’a conseillé le doublage. Au début, je me suis mise sur un banc, je regardais… Et puis j’ai commencé à faire une ambiance…C’est le fait de rencontres.

P. : Moi, j’ai fait le premier stage de doublage lancé par la profession en 1984. J’ai fait des ambiances pendant un ou deux ans. J’alternais doublage et théâtre. Même pour une ambiance à l’époque, on gagnait mieux qu’au théâtre, où on ramait. Après, on vous propose un essai, vous êtes choisi, et puis voilà…

V. : Je suis arrivée au bon moment, au début de la chaîne 5. Il fallait un apport de comédiens énormes, j’en faisais partie.

P. : A la fin des années 80, on travaillait tous les jours, même la nuit ! On a vécu l’âge d’or du doublage.

Ce n’est pas un peu frustrant, de ne jamais être sur les planches ou à l’écran ?

P. : Il n’y a aucune frustration, parce que contrairement à d’autres, on travaille tous les jours. On est tellement gâtés par le métier qu’on n’est plus forcément tentés par le théâtre. Nous, on a les avantages de la notoriété sans les inconvénients. Tout ce qui arrive en plus, c’est que du bonus.

Et pour conclure… 2009 marque les vingt ans des Simpsons. Quel est l’avenir de la série ?

V. : Pour les vingt ans de la série, il y a des choses qui se préparent, mais la Fox américaine les garde un peu top secret.

P. : Ce qui est sûr, c’est qu’on vient de signer pour deux saisons supplémentaires. Et quand on en parle à Matt Groening, il nous répond : « Ca fait 18 ans que ca dure… » On espère encore assurer dans 18 ans !


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