Entretien avec Nicolas Philibert

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A l’occasion de la sortie du film « Retour en Normandie »

Comment vous est venue l’idée de revenir sur les lieux du tournage de René Allio ?

Il s’agit là de la question la plus difficile… (Un temps) Est-ce qu’on sait d’où viennent les idées ? « Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère » (NDLR : film de René Allio tourné en 1975 sur lequel Nicolas Philibert a été assistant metteur en scène) est un film qui m’a beaucoup marqué, mais je ne sais pas pourquoi… Sans doute ai-je éprouvé à un certain moment de ma vie le besoin de me tourner vers mes racines, or ce film a constitué une expérience très forte pour moi.

« Moi, Pierre Rivière… » a-t-il représenté pour vous une expérience initiatique ?

Non, pas vraiment. J’avais déjà une expérience de tournage, avec René Allio par exemple, mais aussi avec Alain Tanner ou Claude Goretta. Mais, de toutes mes expériences d’assistant metteur en scène, il s’agit de la plus dense, car le film traite d’une histoire forte, passionnante, entre autres. Ce film est riche de plusieurs strates : une histoire qui se déroule au début du 19ème siècle, le fait que ce fait divers ait été objet d’étude pour Michel Foucault, que l’on ait récupéré les écrits du meurtrier et les différentes pièces du dossier. La distribution duelle elle aussi est digne d’intérêt : d’une part des comédiens professionnels pour les rôles de notables, et de l’autre des comédiens non professionnels normands pour les rôles principaux des paysans. Il s’agit d’un film de fiction mais qui s’appuie sur des documents historiques : le Mémoire de Pierre Rivière, les différents interrogatoires, les minutes du procès, les témoignages des voisins… En outre, l’idée de René Allio de tourner près du lieu historique où s’est déroulé le fait divers est intéressante.

Est-ce qu’à l’époque du tournage du film de René Allio en 1975 les habitants se souvenaient de ce fait divers survenu près de 140 ans auparavant ?

Non, aucun, à l’exception de la personne qui interprétait le rôle de la grand-mère paternelle et qui racontait que quand elle était petite, on menaçait les enfants désobéissants de se faire assassiner par Pierre Rivière…

Comment s’était alors passé votre travail d’assistant metteur en scène, quand il s’agissait de convaincre des paysans, contraints par les obligations quotidiennes du travail de la terre, de jouer dans un film ?

Le travail de prospection n’a pas été plus difficile que lors d’autres tournages, bien que les paysans soient à des milliers de kilomètres des préoccupations d’une équipe de tournage, et que pour certains, jouer dans un film leur semble extravagant. Bien entendu, il nous a fallu déployer une immense conviction afin de partager notre désir de mettre en chantier le film. Avec Gérard Mordillat (NDLR : le second assistant metteur en scène du film de René Allio), nous avons effectué un long porte-à-porte, nous nous sommes rendus sur les marchés, les comices agricoles, le réunions associatives et syndicales pour rechercher à la fois les acteurs des petits et grands rôles, les figurants, le décor, les accessoires… Évidemment, nous n’arrivions pas chez les gens en leur proposant de but en blanc de jouer dans le film, cela aurait été preuve d’un grand manque de tact, et d’autre part nous voulions, nous aussi, voir d’abord à qui nous avions affaire… Généralement nous prenions un prétexte afin d’engager la conversation, comme la recherche d’accessoires par exemple. En réalité, nous cherchions à savoir s’il y avait une envie, une disposition à jouer. Avant même d’évoquer le tournage, de longues conversations s’engageaient avec les paysans normands de la région, et cela a représenté une expérience passionnante de parler avec eux de leur travail, de leurs difficultés quotidiennes. C’était une plongée dans un monde qui n’est pas le nôtre…

Depardon évoque dans « Profils paysans » les nombreuses difficultés rencontrées pour approcher les paysans qu’il filme…

Les rencontres en tant que telles sont plutôt faciles. Les gens ouvrent généralement leur porte sans difficulté, avec plutôt du plaisir même. Ce qui est plus compliqué est plutôt de les convaincre de s’embarquer dans un projet tel que celui-ci. Or, à la différence du film de Depardon, celui de René Allio exigeait que certains se mobilisent pendant des semaines, notamment les différentes personnes qui ont interprété la famille Rivière. Pour ce film, il s’agissait d’apprendre un rôle, d’enfiler un costume, d’interpréter des scènes d’amour, de disputes, de crier…

La direction d’acteurs a-t-elle été plus difficile avec les comédiens non professionnels qu’avec les professionnels ?

Non, car tout a été fait pour qu’ils se sentent en confiance, notamment la cohabitation très réussie avec les comédiens professionnels. En outre, l’équipe de tournage n’est pas arrivée sur les lieux de tournage « en terrain conquis », il s’agissait de techniciens jeunes, ouverts, curieux. Cela a été, vraiment, une belle expérience, chacun faisait le même film. René Allio s’est montré aussi exigeant vis-à-vis du travail, du jeu des acteurs professionnels que de celui des non professionnels, il a réellement fait pleinement confiance à ces derniers.

Les mêmes personnes, trente ans après, se sont-elles laissées convaincre plus facilement ? Quelle a été tout d’abord leur réaction ?

C’était émouvant, simple, chaleureux, immédiat… Ils ne m’avaient pas oublié, tous avaient vu mon dernier film (NDLR : « Etre et avoir », sorti en 2002), tous ont suivi ma trajectoire. C’est comme si j’étais parti une semaine plus tôt et venais tout juste de revenir, cela a été très spontané, et ils ont tout de suite accepté de tourner à nouveau. Je n’ai pas tellement su leur dire où j’allais, je ne le savais pas bien moi-même, mais ils m’ont témoigné leur confiance. Ils étaient parfois déroutés car ils voyaient que j’accumulais des séquences très différentes, en suivant des pistes tout à fait différentes. Quand ils ont découvert le film en mai, ils se sont réellement interrogés sur la manière dont j’avais bien pu articuler le tout… Car l’expérience du film d’Allio n’a été qu’un point de départ, je m’attarde bien évidemment sur cette expérience mais m’en émancipe, j’en parle à partir d’aujourd’hui. La manière dont j’ai cherché à faire ce film tranche volontairement avec les émissions de cinéma didactiques qui pourraient porter sur « Moi, Pierre Rivère… ». Je me suis plutôt intéressé aux traces que ce tournage a pu laisser, au travail du temps, de la mémoire. J’ai voulu raconter comment une expérience trentenaire a pu travailler. Par ailleurs, ce film revêt une dimension d’autoportrait, cherche à décrire comment je me suis constitué en tant que cinéaste. Il parle, au travers de certains récits d’expériences personnelles, des difficultés et du travail du temps, de la dureté du travail, de la maladie mentale aussi, des épreuves de manière générale. Pour beaucoup des personnes filmées, il semble, selon leurs propres propos, avoir été plus difficile de tourner avec moi qu’avec René Allio, sans doute parce que je leur ai demandé de parler d’eux. Évidemment, cela est une entreprise difficile, surtout qu’ils ne savent pas exactement à quel moment ils apparaîtront à l’écran… Mais, pour toutes les scènes que les personnes filmées m’ont demandées de couper au montage et que j’ai conservées, pour certaines raisons, parce que souvent ce sont des scènes extrêmement émouvantes, n’allez pas vous imaginer que je n’ai pas demandé l’avis des personnes en question avant le montage.

On rit à de nombreuses reprises, en voyant « Retour en Normandie »… Etait-ce votre but ?

Je suis bien conscient que certaines scènes sont drôles… Mais je ne l’avais pas prévu, du moins pas avant le tournage. Au moment du montage, j’ai gardé certaines séquences, certaines répliques que je trouvais en effet comiques, comme celle de la famille Borel. Pour d’autres, je ne suis pas certain qu’il s’agisse à proprement parler de scènes « drôles ». Celle où Roger est en équilibre sur son vélo par exemple, elle n’est pas drôle, pittoresque certes, mais pas « drôle ». Il s’agit plutôt d’un moment très particulier, où l’on assiste à une sorte de suspension du temps, une métaphore de l’équilibre que ceux que je filme doivent trouver pour adoucir les difficultés liées à leur travail en particulier.

Propos recueillis le jeudi 20 septembre 2007 à Paris

Titre original : Retour en Normandie

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Durée : 113 mn


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