Entretien avec Francisco Vargas

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A l’occasion de la sortie du film Le Violon

Pouvez-vous nous préciser quelles sont les multiples dimensions que recouvre la musique dans Le Violon ?

Francisco Vargas : Le violon est le troisième personnage, les deux autres étant Plutarco et le capitaine. La musique, devenue protagoniste à part entière, est celle qui les unit mais aussi, en même temps, les sépare, faisant ressortir les sentiments les plus humains de ces deux personnages. La musique rompt le silence mais aussi le son des armes, elle fait taire l’injustice et la guerre. En retour, la violence fait taire la musique. En outre, la musique est importante parce qu’elle garde la mémoire de cette famille et de ce peuple. La musique est la seule chose que possède ce peuple, elle conserve la mémoire, la liberté. Elle est même l’héritage le plus sûr que Plutarco laisse à son petit-fils. La seule chose que sait l’enfant, c’est ce qu’il a vu et ce qu’il a appris à jouer.

Et il y a cette avant-dernière séquence, dans laquelle le personnage principal, Plutarco, répond au commandant qui lui ordonne de jouer : « Il n’y aura plus de musique ».

Francisco Vargas : Ces dernières paroles de Plutarco sont celles de la dignité, la sienne et celle d’un peuple. Tout prête à croire qu’ils l’ont perdue, qu’ils sont soumis et vaincus. Mais tout ceci n’est qu’apparence. Ils gardent le plus précieux, leur dignité.

Le Violon enchevêtre plusieurs styles de narration entre documentaire, drame et parfois conte. Comment définiriez-vous votre film ?

Francisco Vargas : Il y a des choses qui se décident et se conçoivent au préalable, et d’autres qui apparaissent d’elles-mêmes, comme naturellement. Je ne peux pas vraiment expliquer ce mélange de genres, je voulais avant tout faire un film réaliste et honnête traitant d’une problématique qui me touche beaucoup, d’autant plus qu’elle est assez absente du cinéma mexicain d’aujourd’hui.

Pourtant, votre film n’est pas ancré dans un contexte historique précis, comme si vous vouliez éviter les facteurs contingents de l’Histoire.

Francisco Vargas : Prenez une carte et bandez-vous les yeux : où que vous pointiez le doigt, il est probable que vous tombiez sur un lieu où l’histoire du film pourrait avoir lieu actuellement… si vous ne tombez pas dans la mer ! Ne pas la situer dans un contexte historique et social précis était intentionnel, car cela aurait enfermé le film et réduit sa portée. Cette histoire aurait pu se dérouler il y a cent ans aussi bien que de nos jours, et risque de perdurer encore. Je ne voulais qu’on puisse se dire : « Cet épisode a eu lieu il y a vingt ans et est clos à présent ». C’est en ce sens que j’ai fait le choix du noir et blanc, d’une réalisation caméra à l’épaule et d’acteurs non professionnels ainsi que de certains lieux pour le tournage. Mon intention était de donner au film une apparence de documentaire et d’imprimer une sensation de vérité documentaire à cette histoire à cette fiction.

Le récit du grand-père à son petit-fils semble transformer la réalité en fable, symbolisant peut-être votre propre démarche dans ce film.

Francisco Vargas : C’est une interprétation possible. Plutarco relate l’histoire des siens à son petit-fils de manière simple et imagée afin de la rendre plus accessible. C’est dans la lignée de la tradition populaire de transmission orale mexicaine. Il lui transmet sa réalité à travers un conte cosmologique. A lui aussi, ses grands-parents et ses arrières grands-parents ont raconté ce genre d’histoires, et il la transmet de la même manière à son petit-fils.

S’agit-il paradoxalement de tordre la réalité pour la restituer ?

Francisco Vargas : Cette métaphore est juste, mais je ne sais pas dans quelle mesure elle peut s’appliquer au film. J’ai essayé d’être constamment au plus proche de la réalité, comme une obsession. Mais aussi bien dans un documentaire que dans une fiction, il est impossible de la restituer de manière parfaitement impartiale. Il faut effectivement parfois la tordre pour qu’en sorte de l’émotion.

Comment une œuvre cinématographique et plus largement culturelle peut-elle agir sur le réel ?

Francisco Vargas : Je ne sais pas si on peut agir sur la réalité, je veux plutôt agir sur les gens, les consciences individuelles. Des films m’ont moi-même touché au plus profond et ont changé ma vie. Je préfère ne pas tenir de discours généraliste sur l’art. Ce que je peux dire sur la réalité du cinéma spécifiquement mexicain, c’est qu’il est nécessaire qu’il existe tout un éventail de films parmi lesquels des films à portée sociale. Le cinéma est par essence un moyen privilégié, dans un pays comme le Mexique, de parler de la réalité indigène et d’assumer cette fonction sociale.

Le Violon est-il un film militant ?

Francisco Vargas : Non, Le Violon est un film politique. Le qualificatif « militant » renvoie à un attachement à un parti, or ce n’est pas un film partisan. La fonction politique du cinéma a une importance d’autant plus forte dans un monde cinématographique, notamment à travers Hollywood, qui nous abreuve de banalités et prétend que tout peut s’oublier. C’est en cela que le cinéma politique est une nécessité. Et si de nos jours de nombreuses personnes ont peur de ce qualificatif, j’affirme pour ma part que Le Violon est un film « politique ».

Un film politique peut-il garder sa vigueur tout en s’intégrant à un système marchand ?

Francisco Vargas : Oui, les deux notions sont conciliables, même si cela peut paraître difficile. Il faut en tout cas continuer à essayer. La culture, le social et le politique ne sont en aucun cas opposés par nature au commercial.

La question de la réalité indigène est-elle présente dans le débat politique au Mexique ?

Francisco Vargas : Non. C’est une question complexe. Il y a énormément de mouvements, les zapatistes ne sont pas seuls et la réalité indigène est diverse. Les zapatistes ont fait ressortir au grand jour une certaine réalité, mais le gouvernement les a enfermés dans le Sud du pays, prétendant ainsi avoir résolu le problème. Or les zapatistes attendent leur moment, comme d’autres. C’est une véritable cocotte-minute qui un jour explosera, mais laissée sous silence.

Propos recueillis par Mathieu Fert en janvier 2007.

Titre original : El Violin

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Durée : 98 mn


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